était si limpidement
belle, que le baiser d'un amant devait la faire mourir; elle exhalait un parfum si doux, que
le baiser de ses lèvres devait faire mourir un amant.
La forêt le savait, et la forêt jalouse cachait son enfant adorée. Elle lui avait donné pour
asile une fontaine ombragée de ses rameaux les plus touffus. Là, dans le silence et dans
l'ombre, Fleur-des-eaux rayonnait au milieu de ses soeurs. Paresseuse, elle s'abandonnait
au courant, ses petits pieds demi-voilés par les flots, sa tête blonde couronnée de perles
limpides. Son sourire faisait les délices des nénuphars et des glaïeuls. Elle était l'âme de
la forêt.
Elle vivait insoucieuse, ne connaissant de la terre que sa mère, la rosée, et du ciel que le
rayon, son père. Elle se sentait aimée du flot qui la berçait, de la branche qui lui donnait
son ombre. Elle avait mille amoureux et pas un amant.
Fleur-des-eaux n'ignorait pas qu'elle devait mourir d'amour; elle se plaisait dans celle
pensée, et vivait en espérant la mort. Souriante, elle attendait le bien-aimé.
Une nuit, à la clarté des étoiles, Simplice l'avait vue au détour d'une allée. Il la chercha
pendant un long mois, pensant la rencontrer derrière chaque tronc d'arbre. Il croyait
toujours la voir glisser dans les taillis; mais il ne trouvait, en accourant, que les grandes
ombres des peupliers agités par les souffles du ciel.
VII
La forêt se taisait maintenant; elle se défiait de Simplice. Elle épaississait son feuillage,
elle jetait toute sa nuit sur les pas du jeune prince. Le péril qui menaçait Fleur-des-eaux la
rendait chagrine; elle n'avait plus de caresses, plus d'amoureux babil.
L'ondine revint dans les clairières, et Simplice la vit de nouveau. Fou de désir, il s'élança
à sa poursuite. L'enfant, montée sur un rayon de lune, n'entendit point le bruit de ses pas.
Elle volait ainsi, légère comme la plume qu'emporte le vent.
Simplice courait, courait à sa suite sans pouvoir l'atteindre. Des larmes coulaient de ses
yeux, le désespoir était dans son âme.
Il courait, et la forêt suivait avec anxiété cette course insensée. Les arbustes lui barraient
le chemin. Les ronces l'entouraient de leurs bras épineux, l'arrêtant brusquement au
passage. Le bois entier défendait son enfant.
Il courait, et sentait la mousse devenir glissante sous ses pas. Les branches des taillis
s'enlaçaient plus étroitement, se présentaient à lui, rigides comme des tiges d'airain. Les
feuilles sèches s'amassaient dans les vallons; les troncs d'arbres abattus se mettaient en
travers des sentiers; les rochers roulaient d'eux-mêmes au-devant du prince. L'insecte le
piquait au talon; le papillon l'aveuglait en battant des ailes à ses paupières.
Fleur-des-eaux, sans le voir, sans l'entendre, fuyait toujours sur le rayon de lune. Simplice
sentait avec angoisse venir l'instant où elle allait disparaître.
Et, désespéré, haletant, il courait, il courait.
VIII
Il entendit les vieux chênes qui lui criaient avec colère:
--Que ne disais-tu que tu étais un homme? Nous nous serions cachés de toi, nous t'aurions
refusé nos leçons, pour que ton oeil de ténèbres ne pût voir Fleur-des-eaux, l'ondine de la
source. Tu t'es présenté à nous avec l'innocence des bêtes, et voici qu'aujourd'hui tu
montres l'esprit des hommes. Regarde, tu écrases les scarabées, tu arraches nos feuilles,
tu brises nos branches. Le vent d'égoïsme t'emporte, tu veux nous voler notre âme.
Et l'aubépine ajouta:
--Simplice, arrête, par pitié! Lorsque l'enfant capricieux désire respirer le parfum de mes
bouquets étoilés, que ne les laisse-t-il s'épanouir librement sur la branche! Il les cueille et
n'en jouit qu'une heure.
Et la mousse dit à son tour:
--Arrête, Simplice, viens rêver sur le velours de mon frais tapis. Au loin, entre les arbres,
tu verras se jouer Fleur-des-eaux. Tu la verras se baigner dans la source, se jetant au cou
des colliers de perles humides. Nous te mettrons de moitié dans la joie de son regard:
comme à nous, il te sera permis de vivre pour la voir.
Et toute la forêt reprit:
--Arrête, Simplice, un baiser doit la tuer, ne donne pas ce baiser. Ne le sais-tu pas? la
brise du soir, notre messagère, ne te l'a-t-elle pas dit? Fleur-des-eaux est la fleur céleste
dont le parfum donne la mort. Hélas! la pauvrette, sa destinée est étrange. Pitié pour elle,
Simplice, ne bois pas son âme sur ses lèvres.
IX
Fleur-des-eaux se tourna et vit Simplice. Elle sourit, elle lui fit signe d'approcher, en
disant à la forêt:
--Voici venir le bien-aimé.
Il y avait trois jours, trois heures, trois minutes, que le prince poursuivait l'ondine. Les
paroles des chênes grondaient encore derrière lui; il fut tenté de s'enfuir.
Fleur-des-eaux lui pressait déjà les mains. Elle se dressait sur ses petits pieds, mirant son
sourire dans les yeux du jeune homme.
--Tu as bien tardé, dit-elle. Mon coeur te savait dans
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