Contes à Ninon | Page 7

Emile Zola
la forêt. J'ai monté sur un rayon de
lune et je t'ai cherché trois jours, trois heures, trois minutes.

Simplice se taisait, retenant son souffle. Elle le fit asseoir au bord de la fontaine; elle le
caressait du regard; et lui, il la contemplait longuement.
--Ne me reconnais-tu pas? reprit-elle. Je t'ai vu souvent en rêve. J'allais à toi, tu me
prenais la main, puis nous marchions, muets et frémissants. Ne m'as-tu pas vu? ne te
rappelles-tu pas tes rêves?
Et comme il ouvrait enfin la bouche:
--Ne dis rien, reprit-elle encore. Je suis Fleur-des-eaux, et tu es le bien-aimé. Nous allons
mourir.

X
Les grands arbres se penchaient pour mieux voir le jeune couple. Ils tressaillaient de
douleur, ils se disaient de taillis en taillis que leur âme allait prendre son vol.
Toutes les voix firent silence. Le brin d'herbe et le chêne se sentaient pris d'une immense
pitié. Il n'y avait plus dans les feuillages un seul cri de colère, Simplice, le bien-aimé de
Fleur-des-eaux, était le fils de la vieille forêt.
Elle avait appuyé la tête à son épaule. Se penchant au-dessus du ruisseau, tous deux se
souriaient. Parfois, levant le front, ils suivaient du regard la poussière d'or qui tremblait
dans les derniers rayons du soleil. Ils s'enlaçaient lentement, lentement. Ils attendaient la
première étoile pour se confondre et s'envoler à jamais.
Aucune parole ne troublait leur extase. Leurs âmes, qui montaient à leurs lèvres,
s'échangeaient dans leurs haleines.
Le jour pâlissait, les lèvres des deux amants se rapprochaient de plus en plus. Une
angoisse terrible tenait la forêt immobile et muette. De grands rochers d'où jaillissait la
source jetaient de larges ombres sur le couple, qui rayonnait dans la nuit naissante.
Et l'étoile parut, et les lèvres s'unirent dans le suprême baiser, et les chênes eurent un long
sanglot. Les lèvres s'unirent, les âmes s'envolèrent.

XI
Un homme d'esprit s'égara dans la forêt. Il était en compagnie d'un homme savant.
L'homme d'esprit faisait de profondes remarques sur l'humidité malsaine des bois, et
parlait des beaux champs de luzerne qu'on obtiendrait en coupant tous ces grands vilains
arbres.
L'homme savant rêvait de se faire un nom dans les sciences en découvrant quelque plante
encore inconnue. Il furetait dans tous les coins, et découvrait des orties et du chiendent.
Arrivés au bord de la source, ils trouvèrent le cadavre de Simplice. Le prince souriait
dans le sommeil de la mort. Ses pieds s'abandonnaient au flot, sa tête reposait sur le
gazon de la rive. Il pressait sur ses lèvres, à jamais fermées, une petite fleur blanche et
rose, d'une exquise délicatesse et d'un parfum pénétrant.
--Le pauvre fou! dit l'homme d'esprit, il aura voulu cueillir un bouquet, et se sera noyé.
L'homme savant se souciait peu du cadavre. Il s'était emparé de la fleur, et sous prétexte
de l'étudier. il en déchirait la corolle. Puis, lorsqu'il l'eut mise en pièces:
--Précieuse trouvaille! s'écria-t-il. Je veux, en souvenir de ce niais, nommer cette fleur
Anthapheleia limnaia.
Ah! Ninette, Ninette, mon idéale Fleur-des-eaux, le barbare la nommait Anthapheleia
limnaia!

LE CARNET DE DANSE

I
Te souviens-tu, Ninon, de notre longue course dans les bois? L'automne semait déjà les
arbres de feuilles d'un jaune pourpre que doraient encore les rayons du soleil couchant.
L'herbe était plus claire sous nos pas qu'aux premiers jours de mai, et les mousses
roussies donnaient à peine asile à quelques rares insectes. Perdus dans la forêt pleine de
bruits mélancoliques, nous pensions entendre les plaintes sourdes de la femme qui croit
voir à son front la première ride. Les feuillages, que ne pouvait tromper cette pâle et
douce soirée, sentaient venir l'hiver dans la brise plus fraîche, et se laissaient tristement
bercer, pleurant leur verdure rougie.
Longtemps nous errâmes dans les faillis, peu soucieux de la direction des sentiers, mais
choisissant les plus ombreux et les plus discrets. Nos francs éclats de rire effrayaient les
grives et les merles qui sifflaient dans les haies; et parfois, nous entendions glisser
bruyamment sous les ronces un lézard vert troublé dans son extase par le bruit de nos pas.
Notre course était sans but; nous avions vu, après une journée de nuages, le ciel sourire
vers le soir; nous étions lestement sortis pour profiter de ce rayon de soleil. Nous allions
ainsi, soulevant sous nos pieds un odeur de sauge et de thym, tantôt nous poursuivant,
tantôt marchant lentement, les mains enlacées. Puis je cueillais pour toi les dernières
fleurs, ou je cherchais à atteindre les baies rouges des aubépines que tu désirais comme
un enfant. Et toi, Ninon, pendant ce temps, couronnée de fleurs, tu courais à la source
voisine, sous prétexte de boire, mais plutôt pour admirer ta coiffure, ô coquette et
paresseuse fille!
Il se mêla soudain aux murmures vagues de la forêt de
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