par ses feuilles, par ses fleurs, chantait encore
par ses insectes et par ses oiseaux.
III
Simplice devint en peu de jours un vieil ami de la forêt. Ils bavardèrent si follement
ensemble, qu'elle lui enleva le peu de raison qui lui restait. Lorsqu'il la quittait pour venir
s'enfermer entre quatre murs, s'asseoir devant une table, se coucher dans un lit, il
demeurait tout songeur. Enfin, un beau matin, il abandonna soudain ses appartements et
alla s'installer sous les feuillages aimés.
Là, il se choisit un immense palais.
Son salon fut une vaste clairière ronde, d'environ mille toises de surface. De longues
draperies vert sombre en ornaient le pourtour; cinq cents colonnes flexibles soutenaient,
sous le plafond, un voile de dentelle couleur d'émeraude; le plafond lui-même était un
large dôme de satin bleu changeant, semé de clous d'or.
Pour chambre à coucher, il eut un délicieux boudoir, plein de mystère et de fraîcheur. Le
plancher ainsi que les murs en étaient cachés sous de moelleux lapis d'un travail
inimitable. L'alcôve, creusée dans le roc par quelque géant, avec des parois de marbre
rose et un sol de poussière de rubis.
Il eut aussi sa chambre de bains, une source d'eau vive, une baignoire de cristal perdue
dans un bouquet de fleurs. Je ne te parlerai pas, Ninon, des mille galeries qui se croisaient
dans le palais, ni des salles de danse et de spectacle, ni des jardins. C'était une de ces
royales demeures comme Dieu sait en bâtir.
Le prince put désormais être un sot tout à son aise. Son père le crut changé en loup et
chercha un héritier plus digne du trône.
IV
Simplice fut très-occupé les jours qui suivirent son installation. Il lia connaissance avec
ses voisins, le scarabée de l'herbe et le papillon de l'air. Tous étaient de bonnes bêtes,
ayant presque autant d'esprit que les hommes.
Dans les commencements, il eut quelque peine à comprendre leur langage; mais il
s'aperçut bientôt qu'il devait s'en prendre à son éducation première. Il se conforma vite à
la concision de la langue des insectes. Un son finit par lui suffire, comme à eux, pour
désigner cent objets différents, suivant l'inflexion de la voix et la tenue de la note. De
sorte qu'il alla se déshabituant de parler la langue des hommes, si pauvre dans sa richesse.
Les façons d'être de ses nouveaux amis le charmèrent. Il s'émerveilla surtout de leur
manière de juger les rois, qui est celle de ne point en avoir. Enfin il se sentit ignorant
auprès d'eux, et prit la résolution d'aller étudier à leurs écoles.
Il fut plus discret dans ses rapports avec les mousses et les aubépines. Comme il ne
pouvait encore saisir les paroles du brin d'herbe et de la fleur, cette impuissance jetait
beaucoup de froid dans leurs relations.
Somme toute, la forêt ne le vit pas d'un mauvais oeil. Elle comprit que c'était là un simple
d'esprit et qu'il vivrait en bonne intelligence avec les bêtes. On ne se cacha plus de lui.
Souvent il lui arrivait de surprendre au fond d'une allée un papillon chiffonnant la
collerette d'une marguerite.
Bientôt l'aubépine vainquit sa timidité jusqu'à donner des leçons au jeune prince. Elle lui
apprit amoureusement le langage des parfums et des couleurs. Dès lors, chaque matin, les
corolles empourprées saluaient Simplice à son lever; la feuille verte lui contait les
cancans de la nuit, le grillon lui confiait tout bas qu'il était amoureux fou de la violette.
Simplice s'était choisi pour bonne amie une libellule dorée, au fin corsage, aux ailes
frémissantes. La chère belle se montrait d'une désespérante coquetterie: elle se jouait,
semblait l'appeler, puis fuyait lestement sous sa main. Les grands arbres, qui voyaient ce
manège, la tançaient vertement, et, graves, disaient entre eux qu'elle ferait une mauvaise
fin.
V
Simplice devint subitement inquiet.
La bête à bon Dieu, qui s'aperçut la première de la tristesse de leur ami, essaya de le
confesser. Il répondit en pleurant qu'il était gai comme aux premiers jours.
Maintenant, il se levait avec l'aurore pour courir les taillis jusqu'au soir. Il écartait
doucement les branches, visitant chaque buisson. Il levait la feuille et regardait dans son
ombre.
--Que cherche donc notre élève? demandait l'aubépine à la mousse.
La libellule, étonnée de l'abandon de son amant, le crut devenu fou d'amour. Elle vint
lutiner autour de lui. Mais il ne la regarda plus. Les grands arbres l'avaient bien jugée:
elle se consola vite avec le premier papillon du carrefour.
Les feuillages étaient tristes. Ils regardaient le jeune prince interroger chaque touffe
d'herbe, sonder du regard les longues avenues; ils l'écoutaient se plaindre de la
profondeur des broussailles, et ils disaient:
--Simplice a vu Fleur-des-eaux, l'ondine de la source.
VI
Fleur-des-eaux était fille d'un rayon et d'une goutte de rosée. Elle
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.