te retrouverai au
bord de la petite rivière. L'hiver sera venu, un hiver triste et doux, avec un ciel clair et une
terre pleine des espérances de la moisson future. Va, nous nous adorerons toute une
saison nouvelle; nous reprendrons nos soirées paisibles, dans les campagnes aimées; nous
achèverons notre rêve.
Attends-moi, ma chère âme, vision fidèle, amante de l'enfant et du vieillard.
ÉMILE ZOLA.
1er octobre 1864.
CONTES A NINON
SIMPLICE
I
Il y avait autrefois,--écoute bien, Ninon, je tiens ce récit d'un vieux pâtre,--il y avait
autrefois, dans une île que la mer a depuis longtemps engloutie, un roi et une reine qui
avaient un fils. Le roi était un grand roi: son verre était le plus profond de son empire; son
épée, la plus lourde; il tuait et buvait royalement. La reine était une belle reine: elle usait
tant de fard qu'elle n'avait guère plus de quarante ans. Le fils était un niais.
Mais un niais de la plus grosse espèce, disaient les gens d'esprit du royaume. A seize ans,
il fut emmené en guerre par le roi: il s'agissait d'exterminer certaine nation voisine qui
avait le grand tort de posséder un territoire. Simplice se comporta comme un sot: il sauva
du carnage deux douzaines de femmes et trois douzaines et demie d'enfants; il faillit
pleurer à chaque coup d'épée qu'il donna; enfin la vue du champ de bataille, souillé de
sang et encombré de cadavres, lui mit une telle pitié au coeur, qu'il n'en mangea pas de
trois jours. C'était un grand sot, Ninon, comme tu vois.
A dix-sept ans, il dut assister à un festin donné par son père à tous les grands gosiers du
royaume. Là encore il commit sottise sur sottise. Il se contenta de quelques bouchées,
parlant peu, ne jurant point. Son verre risquant de rester toujours plein devant lui, le roi,
pour sauvegarder la dignité de la famille, se vit forcé de le vider de temps à autre en
cachette.
A dix-huit ans, comme le poil lui poussait au menton, il fut remarqué par une dame
d'honneur de la reine. Les dames d'honneur sont terribles, Ninon. La nôtre ne voulait rien
moins que se faire embrasser par le jeune prince. Le pauvre enfant n'y songeait guère; il
tremblait fort, lorsqu'elle lui adressait la parole, et se sauvait, dès qu'il apercevait le bord
de ses jupes dans les jardins. Son père, qui était un bon père, voyait tout et riait dans sa
barbe. Mais, comme la dame courait plus fort et que le baiser n'arrivait pas, il rougit
d'avoir un tel fils, et donna lui-même le baiser demandé, toujours pour sauvegarder la
dignité de sa race.
--Ah! le petit imbécile! disait ce grand roi qui avait de l'esprit.
II
Ce fut à vingt ans que Simplice devint complètement idiot. Il rencontra une forêt et tomba
amoureux.
Dans ces temps anciens, on n'embellissait point encore les arbres à coups de ciseaux, et la
mode n'était pas de semer le gazon ni de sabler les allées. Les branches poussaient
comme elles l'entendaient; Dieu seul se chargeait de modérer les ronces et de ménager les
sentiers. La forêt que Simplice rencontra était un immense nid de verdure, des feuilles et
encore des feuilles, des charmilles impénétrables coupées par de majestueuses avenues.
La mousse, ivre de rosée, s'y livrait à une débauche de croissance; les églantiers,
allongeant leurs bras flexibles, se cherchaient dans les clairières pour exécuter des danses
folles autour des grands arbres; les grands arbres eux-mêmes, tout en restant calmes et
sereins, tordaient leur pied dans l'ombre et montaient en tumulte baiser les rayons d'été.
L'herbe verte croissait au hasard, sur les branches comme sur le sol; la feuille embrassait
le bois, tandis que, dans leur hâte de s'épanouir, pâquerettes et myosotis, se trompant
parfois, fleurissaient sur les vieux troncs abattus. Et toutes ces branches, toutes ces herbes,
toutes ces fleurs chantaient; toutes se mêlaient, se pressaient, pour babiller plus à l'aise,
pour se dire tout bas les mystérieuses amours des corolles. Un souffle de vie courait au
fond des taillis ténébreux, donnant une voix à chaque brin de mousse dans les ineffables
concerts de l'aurore et du crépuscule. C'était la fête immense du feuillage.
Les bêtes à bon Dieu, les scarabées, les libellules, les papillons, tous les beaux amoureux
des haies fleuries, se donnaient rendez-vous aux quatre coins du bois. Ils y avaient établi
leur petite république; les sentiers étaient leurs sentiers; les ruisseaux, leurs ruisseaux; la
forêt, leur forêt. Ils se logeaient commodément au pied des arbres, sur les branches basses,
dans les feuilles sèches, vivaient là comme chez eux, tranquillement et par droit de
conquête. Ils avaient, d'ailleurs, en bonnes gens, abandonné les hautes branches aux
fauvettes et aux rossignols.
La forêt, qui chantait déjà par ses branches,
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