dans tes yeux les
émotions, les gaietés et les tristesses de mes récits. Je t'ouvrais mon âme toute large,
désireux de ne rien cacher. Je ne te traitais point comme ces amantes communes
auxquelles les amants mesurent leurs pensées: je me donnais entier, sans jamais veiller à
mes discours. Aussi, quels longs bavardages, quelles histoires étranges, filles du rêve!
quels récits décousus, où l'invention s'en allait au hasard, et dont les seuls épisodes
supportables étaient les baisers que nous échangions! Si quoique passant nous eût épiés le
soir, au pied de nos rochers, je ne sais quelle singulière figure il eût faite à entendre mes
paroles libres, et à te voir les comprendre, ma petite fille naïve, ma bien-aimée, mon frère
consolateur.
Hélas! ces beaux soirs ne sont plus. Un jour est venu où j'ai dû vous quitter, toi et les
champs de Provence. Te souviens-tu, mon beau rêve, nous nous sommes dit adieu, par
une soirée d'automne, au bord de la petite rivière. Les arbres dépouillés rendaient les
horizons plus vastes et plus mornes; la campagne, à cette heure avancée, couverte de
feuilles sèches, humide des premières pluies, s'étendait noire, avec de grandes taches
jaunes, comme un immense tapis de bure. Au ciel, les derniers rayons s'effaçaient, et, du
levant, montait la nuit, menaçante de brouillards, nuit sombre que devait suivre une aube
inconnue. Il en était de ma vie comme de ce ciel d'automne; l'astre de ma jeunesse venait
de disparaître, la nuit de l'âge montait, me gardant je ne savais quel avenir. Je me sentais
des besoins cuisants de réalité; je me trouvais las du songe, las du printemps, las de toi,
ma chère âme, qui échappais à mes étreintes et ne pouvais, devant mes larmes, que me
sourire avec tristesse. Nos amours divines étaient bien finies; elles avaient, comme toutes
choses, vécu leur saison. C'est alors, voyant que tu te mourais en moi, que j'allai au bord
de la petite rivière, dans la campagne moribonde, te donner mes baisers du départ. Oh!
l'amoureuse et triste soirée! Je te baisai, ma blanche mourante, j'essayai une dernière fois
de te rendre la vie puissante de les beaux jours; je ne pus, car j'étais moi-même ton
bourreau. Tu montas en moi plus haut que le corps, plus haut que le coeur, et tu ne fus
plus qu'un souvenir.
Voici bientôt sept ans que je t'ai quittée. Depuis le jour des adieux, dans mes joies et dans
mes chagrins, j'ai souvent écouté ta voix, la voix caressante d'un souvenir, qui me
demandait les contes de nos soirées de Provence.
Je ne sais quel écho de nos roches sonores répond dans mon coeur. Toi que j'ai laissée
loin de moi, tu m'adresses de ton exil des prières si touchantes, qu'il me semble les
entendre tout au fond de mon être. Ce doux frémissement que laissent en nous les
voluptés passées, m'invite à céder à tes désirs. Pauvre ombre disparue, si je dois te
consoler par mes vieilles histoires, dans les solitudes où vivent les chers fantômes de nos
songes évanouis, je sens combien moi-même je trouverai d'apaisement à m'écouter te
parler, comme aux jours de notre jeune âge.
J'accueille tes prières, je vais reprendre, un à un, les contes de nos amours, non pas tous,
car il en est qui ne sauraient être dits une seconde fois, le soleil ayant fané, dès leur
naissance, ces fleurs délicates, trop divinement simples pour le grand jour; mais ceux de
vie plus robuste, et dont la mémoire humaine, cette grossière machine, peut garder le
souvenir.
Hélas! je crains de me préparer ici de grands chagrins. C'est violer le secret de nos
tendresses que de confier nos causeries au vent qui passe, et les amants indiscrets sont
punis en ce monde par l'indifférente froideur de leurs confidents. Une espérance me reste:
c'est qu'il ne se trouvera pas une seule personne en ce pays qui ait la tentation de lire nos
histoires. Noire siècle est vraiment bien trop occupé, pour s'arrêter aux causeries de deux
amants inconnus. Mes feuilles volantes passeront sans bruit dans la foule et te
parviendront vierges encore. Ainsi, je puis être fou tout à mon aise; je puis, comme
autrefois, aller à l'aventure, insoucieux des sentiers. Toi seule me liras, je sais avec quelle
indulgence.
Et maintenant, Ninon, j'ai satisfait tes voeux. Voici mes contes. N'élève plus la voix en
moi, cette voix du souvenir qui fait monter des larmes à mes yeux. Laisse en paix mon
coeur qui a besoin de repos, ne viens plus, dans mes jours de lutte, m'attrister en me
rappelant nos paresseuses nuits. S'il te faut une promesse, je m'engage à t'aimer encore,
plus tard, lorsque j'aurai vainement cherché d'autres maîtresses en ce monde, et que j'en
reviendrai à mes premières amours. Alors, je regagnerai la Provence, je
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