en granit. Consuelo, ne
perdait pas son temps à admirer ce travail immense, exécuté
avec une solidité qui défiait encore bien des siècles. Elle ne se
demandait pas non plus comment les possesseurs actuels du château
pouvaient ignorer l'existence d'une construction si importante. Elle
eût pu se l'expliquer, en se rappelant que tous les papiers historiques
de cette famille et de cette propriété avaient été détruits
plus de cent ans auparavant, à l'époque de l'introduction de la
réforme en Bohème; mais elle ne regardait plus autour d'elle, et ne
pensait presque plus qu'Ã son propre salut, satisfaite seulement de
trouver un sol uni, un air respirable, et un libre espace pour courir. Elle
avait encore assez de chemin à faire, quoique cette route directe vers
le Schreckenstein fût beaucoup plus courte que le sentier tortueux de
la montagne. Elle le trouvait bien long; et, ne pouvant plus s'orienter,
elle ignorait même si cette route la conduisait au Schreckenstein ou
à un terme beaucoup plus éloigné de son expédition.
Au bout d'un quart d'heure de marche, elle vit de nouveau la voûte
s'élever, et le travail de l'architecte cesser entièrement. C'était
pourtant encore l'ouvrage des hommes que ces vastes carrières, ces
grottes majestueuses qu'il lui fallait traverser. Mais envahies par la
végétation, et recevant l'air extérieur par de nombreuses fissures,
elles avaient un aspect moins sinistre que les galeries. Il y avait
là mille moyens de se cacher et de se soustraire aux poursuites d'un
adversaire irrité. Mais un bruit d'eau courante vint faire tressaillir
Consuelo; et si elle eût pu plaisanter dans une pareille situation, elle
se fût avoué à elle-même que jamais le baron Frédérick, au
retour de la chasse, n'avait eu plus d'horreur de l'eau qu'elle n'en
éprouvait en cet instant.
Cependant elle fit bientôt usage de sa raison. Elle n'avait fait que
monter depuis qu'elle avait quitté le précipice, au moment d'être
submergée. A moins que Zdenko n'eût à son service une machine
hydraulique d'une puissance et d'une étendue incompréhensible, il
ne pouvait pas faire remonter vers elle son terrible auxiliaire, le torrent.
Il était bien évident d'ailleurs qu'elle devait rencontrer quelque
part le courant de la source, l'écluse, ou la source elle-même; et si
elle eût pu réfléchir davantage, elle se fût étonnée de
n'avoir pas encore trouvé sur son chemin cette onde mystérieuse,
cette source des Pleurs qui alimentait la citerne.
C'est que la source avait son courant dans les veines inconnues des
montagnes, et que la galerie, coupant à angle droit, ne la rencontrait
qu'aux approches de la citerne d'abord, et ensuite sous le
Schreckenstein, ainsi qu'il arriva enfin à Consuelo. L'écluse était
donc loin derrière elle, sur la route que Zdenko avait parcourue seul,
et Consuelo approchait de cette source, que depuis des siècles aucun
autre homme qu'Albert ou Zdenko n'avait vue. Elle eut bientôt rejoint
le courant, et cette fois elle le côtoya sans terreur et sans danger.
Un sentier de sable frais et fin remontait le cours de cette eau limpide et
transparente, qui courait avec un bruit généreux dans un lit
convenablement encaissé. Là , reparaissait le travail de l'homme. Ce
sentier était relevé en talus dans des terres fraîches et fertiles;
car de belles plantes aquatiques, des pariétaires énormes, des
ronces sauvages fleuries dans ce lieu abrité, sans souci de la rigueur
de la saison, bordaient le torrent d'une marge verdoyante. L'air
extérieur pénétrait par une multitude de fentes et de crevasses
suffisantes pour entretenir la vie de la végétation, mais trop
étroites pour laisser passage à l'oeil curieux qui les aurait
cherchées du dehors. C'était comme une serre chaude naturelle,
préservée par ses voûtes du froid et des neiges, mais
suffisamment aérée par mille soupiraux imperceptibles. On eût
dit qu'un soin complaisant avait protégé la vie de ces belles
plantes, et débarrassé le sable que le torrent rejetait sur ces rives
des graviers qui offensent le pied; et on ne se fût pas trompé dans
cette supposition. C'était Zdenko qui avait rendu gracieux, faciles et
sûrs les abords de la retraite d'Albert.
Consuelo commençait à ressentir l'influence bienfaisante qu'un
aspect moins sinistre et déjà poétique des objets extérieurs
produisait sur son imagination bouleversée par de cruelles terreurs.
En voyant les pâles rayons de la lune se glisser ça et là dans les
fentes des roches, et se briser sur les eaux tremblotantes, en sentant l'air
de la forêt frémir par intervalles sur les plantes immobiles que l'eau
n'atteignait pas, en se sentant toujours plus près de la surface de la
terre, elle se sentait renaître, et l'accueil qui l'attendait au terme de
son héroïque pèlerinage, se peignait dans son esprit sous des
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