toute une carrière, toute
une forteresse qu'il allait entasser entre elle et Albert. Il chantait
toujours, et paraissait prendre un plaisir extrême à son ouvrage.
Une inspiration merveilleuse vint enfin à Consuelo. Elle se rappela la
fameuse formule hérétique qu'elle s'était fait expliquer par
Amélie, et qui avait tant scandalisé le chapelain.
«Zdenko! s'écria-t-elle en bohémien, à travers une des fentes
du mur mal joint qui la séparait déjà de lui; ami Zdenko, _que
celui à qui on a fait tort te salue!_»
A peine cette parole fut-elle prononcée, qu'elle opéra sur Zdenko
comme un charme magique; il laissa tomber l'énorme bloc qu'il
tenait, en poussant un profond soupir, et il se mit à démolir son mur
avec plus de promptitude encore qu'il ne l'avait élevé; puis,
tendant la main à Consuelo, il l'aida en silence à franchir cette ruine,
après quoi il la regarda attentivement, soupira étrangement, et, lui
remettant trois clefs liées ensemble par un ruban rouge, il lui montra
le chemin devant elle, en lui disant:
«Que celui à qui on a fait tort te salue!
--Ne veux-tu pas me servir de guide? lui dit-elle. Conduis-moi vers ton
maître.»
Zdenko secoua la tête en disant:
«Je n'ai pas de maître, j'avais un ami. Tu me le prends. La
destinée s'accomplit. Va où Dieu te pousse; moi, je vais pleurer ici
jusqu'à ce que tu reviennes.»
Et, s'asseyant sur les décombres, il mit sa tête dans ses mains, et ne
voulut plus dire un mot.
Consuelo ne s'arrêta pas longtemps pour le consoler. Elle craignait le
retour de sa fureur; et, profitant de ce moment où elle le tenait en
respect, certaine enfin d'être sur la route du Schreckenstein, elle partit
comme un trait. Dans sa marche incertaine et pénible, Consuelo
n'avait pas fait beaucoup de chemin; car Zdenko, se dirigeant par une
route beaucoup plus longue mais inaccessible à l'eau, s'était
rencontré avec elle au point de jonction des deux souterrains, qui
faisaient, l'un par un détour bien ménagé, et creusé de main
d'homme dans le roc, l'autre, affreux, bizarre, et plein de dangers, le
tour du château, de ses vastes dépendances, et de la colline sur
laquelle il était assis. Consuelo ne se doutait guère qu'elle était
en cet instant sous le parc, et cependant elle en franchissait les grilles et
les fossés par une voie que toutes les clefs et toutes les précautions
de la chanoinesse ne pouvaient plus lui fermer. Elle eut la pensée, au
bout de quelque trajet sur cette nouvelle route, de retourner sur ses pas,
et de renoncer à une entreprise déjà si traversée, et qui avait
failli lui devenir si funeste. De nouveaux obstacles l'attendaient
peut-être encore. Le mauvais vouloir de Zdenko pouvait se réveiller.
Et s'il allait courir après elle! s'il allait élever un nouveau mur pour
empêcher son retour! Au lieu qu'en abandonnant son projet, en lui
demandant de lui frayer le chemin vers la citerne, et de remettre cette
citerne à sec pour qu'elle pût monter, elle avait de grandes chances
pour le trouver docile et bienveillant. Mais elle était encore trop sous
l'émotion du moment pour se résoudre à revoir ce fantasque
personnage. La peur qu'il lui avait causée augmentait à mesure
qu'elle s'éloignait de lui; et après avoir affronté sa vengeance
avec une présence d'esprit miraculeuse, elle faiblissait en se la
représentant. Elle fuyait donc devant lui, n'ayant plus le courage de
tenter ce qu'il eût fallu faire pour se le rendre favorable, et n'aspirant
qu'à trouver une de ces portes magiques dont il lui avait cédé les
clefs, afin de mettre une barrière entre elle et le retour de sa
démence.
Mais n'allait-elle pas trouver Albert, cet autre fou qu'elle s'était
obstinée témérairement à croire doux et traitable, dans une
position analogue à celle de Zdenko envers elle? Il y avait un voile
épais sur toute cette aventure; et, revenue de l'attrait romanesque qui
avait contribué à l'y pousser, Consuelo se demandait si elle
n'était pas la plus folle des trois, de s'être précipitée dans cet
abîme de dangers et de mystères, sans être sûre d'un résultat
favorable et d'un succès fructueux.
Cependant elle suivait un souterrain spacieux et admirablement
creusé par les fortes mains des hommes du moyen âge. Tous les
rochers étaient percés par un entaillement ogival surbaissé avec
beaucoup de caractère et de régularité. Les portions moins
compactes, les veines crayeuses du sol, tous les endroits où
l'éboulement eût été possible, étaient soutenus par une
construction en pierre de taille à rinceaux croisés, que liaient
ensemble des clefs de voûte quadrangulaires
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