Consuelo, Tome 2 | Page 6

George Sand
galerie
ténébreuse, où le travail de l'homme cesse entièrement, et qui
se détourne des courants d'eau et de leur chute, en remontant vers des
régions plus élevées.
C'est la route que Consuelo doit prendre. Il n'y en a point d'autre: l'eau a
fermé et rempli entièrement celle qu'elle vient de suivre. Il est
impossible d'attendre dans la grotte le retour de Zdenko. L'humidité
en est mortelle, et déjà le flambeau pâlit, pétille et menace de
s'éteindre sans pouvoir se rallumer.

Consuelo n'est point paralysée par l'horreur de cette situation. Elle
pense bien qu'elle n'est plus sur la route du Schreckenstein. Ces galeries
souterraines qui s'ouvrent devant elle sont un jeu de la nature, et
conduisent à des impasses ou à un labyrinthe dont elle ne retrouvera
jamais l'issue. Elle s'y hasardera pourtant, ne fût-ce que pour trouver
un asile plus sain jusqu'Ã la nuit prochaine. La nuit prochaine, Zdenko
reviendra; il arrêtera le courant, la galerie sera vidée, et la captive
pourra revenir sur ses pas et revoir la lumière des étoiles.
Consuelo s'enfonça donc dans les mystères du souterrain avec un
nouveau courage, attentive cette fois à tous les accidents du sol, et
s'attachant à suivre toujours les pentes ascendantes, sans se laisser
détourner par les galeries en apparence plus spacieuses et plus
directes qui s'offraient à chaque instant. De cette manière elle
était sûre de ne plus rencontrer de courants d'eau, et de pouvoir
revenir sur ses pas.
Elle marchait au milieu de mille obstacles: des pierres énormes
encombraient sa route, et déchiraient ses pieds; des chauves-souris
gigantesques, arrachées de leur morne sommeil par la clarté de la
lanterne, venaient par bataillons s'y frapper, et tourbillonner comme des
esprits de ténèbres autour de la voyageuse. Après les premières
émotions de la surprise, à chaque nouvelle terreur, elle sentait
grandir son courage. Quelquefois elle gravissait d'énormes blocs de
pierre détachés d'immenses voûtes crevassées, qui montraient
d'autres blocs menaçants, retenus à peine dans leurs fissures
élargies à vingt pieds au-dessus de sa tête; d'autres fois la voûte
se resserrait et s'abaissait au point que Consuelo était forcée de
ramper dans un air rare et brûlant pour s'y frayer un passage. Elle
marchait ainsi depuis une demi-heure, lorsqu'au détour d'un angle
resserré, où son corps svelte et souple eut de la peine à passer, elle
retomba de Charybde en Scylla, en se trouvant face à face avec
Zdenko: Zdenko d'abord pétrifié de surprise et glacé de terreur,
bientôt indigné, furieux et menaçant comme elle l'avait
déjà vu.
Dans ce labyrinthe, parmi ces obstacles sans nombre, à la clarté
vacillante d'un flambeau que le manque d'air étouffait à chaque
instant, la fuite était impossible. Consuelo songea à se défendre
corps à corps contre une tentative de meurtre. Les yeux égarés,

la bouche écumante de Zdenko, annonçaient assez qu'il ne
s'arrêterait pas cette fois à la menace. Il prit tout à coup une
résolution étrangement féroce: il se mit à ramasser de grosses
pierres, et à les placer l'une sur l'autre, entre lui et Consuelo, pour
murer l'étroite galerie où elle se trouvait. De cette manière, il
était sûr qu'en ne vidant plus la citerne durant plusieurs jours, il la
ferait périr de faim, comme l'abeille qui enferme le frelon indiscret
dans sa cellule, en apposant une cloison de cire à l'entrée.
Mais c'était avec du granit que Zdenko bâtissait, et il s'en acquittait
avec une rapidité prodigieuse. La force athlétique que cet homme
si maigre, et en apparence si débile, trahissait en ramassant et en
arrangeant ces blocs, prouvait trop bien à Consuelo que la
résistance était impossible, et qu'il valait mieux espérer de
trouver une autre issue en retournant sur ses pas, que de se porter aux
dernières extrémités en l'irritant. Elle essaya de l'attendrir, de le
persuader et de le dominer par ses paroles.
«Zdenko, lui disait-elle, que fais-tu là , insensé? Albert te
reprochera ma mort. Albert m'attend et m'appelle. Je suis son amie, sa
consolation et son salut. Tu perds ton ami et ton frère en me
perdant.»
Mais Zdenko, craignant de se laisser gagner, et résolu de continuer
son oeuvre, se mit à chanter dans sa langue sur un air vif et animé,
tout en bâtissant d'une main active et légère son mur
cyclopéen.
Une dernière pierre manquait pour assurer l'édifice. Consuelo le
regardait faire avec consternation. Jamais, pensait-elle, je ne pourrai
démolir ce mur. Il me faudrait les mains d'un géant. La dernière
pierre fut posée, et bientôt elle s'aperçut que Zdenko en bâtissait
un second, adossé au premier. C'était
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