Consuelo, Tome 2 | Page 5

George Sand
rugissement du tonnerre.
Tout à coup Consuelo, frappée d'une horrible découverte,
s'aperçut que la galerie, au lieu de monter, descendait d'abord en
pente douce, et puis de plus en plus rapidement. L'infortunée
s'était trompée de chemin. Dans son empressement et dans la
vapeur épaisse qui s'exhalait du fond de la citerne, elle n'avait pas vu

une seconde ogive, beaucoup plus large, et située vis-à -vis de celle
qu'elle avait prise. Elle s'était enfoncée dans le canal qui servait de
déversoir à l'eau du puits, au lieu de remonter celui qui conduisait
au réservoir ou à la source. Zdenko, s'en allant par une route
opposée, venait de lever tranquillement la pelle; l'eau tombait en
cascade au fond de la citerne, et déjà la citerne était remplie
jusqu'à la hauteur du déversoir; déjà elle se précipitait dans
la galerie où Consuelo fuyait éperdue et glacée d'épouvante.
Bientôt cette galerie, dont la dimension était ménagée de
manière à ce que la citerne, perdant moins d'eau qu'elle n'en recevait
de l'autre bouche, put se remplir, allait se remplir à son tour. Dans un
instant, dans un clin d'oeil, le déversoir serait inondé, et la pente
continuait à s'abaisser vers des abîmes où l'eau tendait à se
précipiter. La voûte, encore suintante, annonçait assez que l'eau
la remplissait tout entière, qu'il n'y avait pas de salut possible, et que
la vitesse de ses pas ne sauverait pas la malheureuse fugitive de
l'impétuosité du torrent. L'air était déjà intercepté par la
masse d'eau qui arrivait à grand bruit. Une chaleur étouffante
arrêtait la respiration, et suspendait la vie autant que la peur et le
désespoir. Déjà le rugissement de l'onde déchaînée
grondait aux oreilles de Consuelo; déjà une écume rousse,
sinistre avant-coureur du flot, ruisselait sur le pavé, et devançait la
course incertaine et ralentie de la victime consternée.

XLI.
«O ma mère, s'écria-t-elle, ouvre-moi tes bras! O Anzoleto, je t'ai
aimé! O mon Dieu, dédommage-moi dans une vie meilleure!».
A peine avait-elle jeté vers le ciel ce cri d'agonie, qu'elle trébuche
et se frappe à un obstacle inattendu. O surprise! ô bonté divine!
c'est un escalier étroit et raide, qui monte à l'une des parois du
souterrain, et qu'elle gravit avec les ailes de la peur et de l'espérance.
La voûte s'élève sur son front; le torrent se précipite, heurte
l'escalier que Consuelo a eu le temps de franchir, en dévore les dix
premières marches, mouille jusqu'à la cheville les pieds agiles qui le
fuient, et, parvenu enfin au sommet de la voûte surbaissée que
Consuelo a laissée derrière elle, s'engouffre dans les ténèbres,
et tombe avec un fracas épouvantable dans un réservoir profond

que l'héroïque enfant domine d'une petite plate-forme où elle est
arrivée sur ses genoux et dans l'obscurité.
Car son flambeau s'est éteint. Un coup de vent furieux a
précédé l'irruption de la masse d'eau. Consuelo s'est laissée
tomber sur la dernière marche, soutenue jusque-là par l'instinct
conservateur de la vie, mais ignorant encore si elle est sauvée, si ce
fracas de la cataracte est un nouveau désastre qui va l'atteindre, et si
cette pluie froide qui en rejaillit jusqu'Ã elle, et qui baigne ses cheveux,
est la main glacée de la mort qui s'étend sur sa tête.
Cependant le réservoir se remplit peu à peu, jusqu'à d'autres
déversoirs plus profonds, qui emportent encore au loin dans les
entrailles de la terre le courant de la source abondante. Le bruit diminue;
les vapeurs se dissipent; un murmure sonore, mais plus harmonieux
qu'effrayant, se répand dans les cavernes. D'une main convulsive,
Consuelo est parvenue à rallumer son flambeau. Son coeur frappe
encore violemment sa poitrine; mais son courage s'est ranimé. A
genoux, elle remercie Dieu et sa mère. Elle examine enfin le lieu où
elle se trouve, et promène la clarté vacillante de sa lanterne sur les
objets environnants.
Une vaste grotte creusée par la nature sert de voûte à un abîme
que la source lointaine du Schreckenstein alimente, et où elle se perd
dans les entrailles du rocher. Cet abîme est si profond qu'on ne voit
plus l'eau qu'il engouffre; mais quand on y jette une pierre, elle roule
pendant deux minutes, et produit en s'y plongeant une explosion
semblable à celle du canon. Les échos de la caverne le répètent
longtemps, et le clapotement sinistre de l'eau invisible dure plus
longtemps encore. On dirait les aboiements de la meute infernale. Sur
une des parois de la grotte, un sentier étroit et difficile, taillé dans
le roc, côtoie le précipice, et s'enfonce dans une nouvelle
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