Consuelo, Tome 2 | Page 4

George Sand
Il
l'était surtout avec de la lumière; et Consuelo s'était pourvue de
bougies, d'un morceau de fer, d'amadou, et d'une pierre pour avoir de la
lumière en cas d'accident. Ce qui lui donnait la certitude d'arriver par
cette route souterraine au Schreckenstein, c'était une ancienne

histoire qu'elle avait entendu raconter à la chanoinesse, d'un siège
soutenu jadis par l'ordre teutonique. Ces chevaliers, disait Wenceslawa,
avaient dans leur Réfectoire même une citerne qui leur apportait
toujours de l'eau d'une montagne voisine; et lorsque leurs espions
voulaient effectuer une sortie pour observer l'ennemi, ils
desséchaient la citerne, passaient par ses conduits souterrains, et
allaient sortir dans un village qui était dans leur dépendance.
Consuelo se rappelait que, selon la chronique du pays, le village qui
couvrait la colline appelée Schreckenstein depuis l'incendie
dépendait de la forteresse des Géants, et avait avec lui de
secrètes intelligences en temps de siége. Elle était donc dans la
logique et dans la vérité en cherchant cette communication et cette
issue.
Elle profita de l'absence de Zdenko pour descendre dans le puits.
Auparavant elle se mit à genoux, recommanda son âme à Dieu, fit
naïvement un grand signe de croix, comme elle l'avait fait dans la
coulisse du théâtre de San-Samuel avant de paraître pour la
première fois sur la scène; puis elle descendit bravement l'escalier
tournant et rapide, cherchant à la muraille les points d'appui qu'elle
avait vu prendre à Zdenko, et ne regardant point au-dessous d'elle de
peur d'avoir le vertige. Elle atteignit la chaîne de fer sans accident; et
lorsqu'elle l'eut saisie, elle se sentit plus tranquille, et eut le sang-froid
de regarder au fond du puits. Il y avait encore de l'eau, et cette
découverte lui causa un instant d'émoi. Mais la réflexion lui
vint aussitôt. Le puits pouvait être, très-profond; mais l'ouverture
du souterrain qui amenait Zdenko ne devait être située qu'à une
certaine distance au-dessous du sol. Elle avait déjà descendu
cinquante marches avec cette adresse et cette agilité que n'ont pas les
jeunes filles élevées dans les salons, mais que les enfants du
peuple acquièrent dans leurs jeux, et dont ils conservent toute leur vie
la hardiesse confiante. Le seul danger véritable était de glisser sur
les marches humides. Consuelo avait trouvé dans un coin, en furetant,
un vieux chapeau à larges bords que le baron Frédérick avait
longtemps porté à la chasse. Elle l'avait coupé, et s'en était fait
des semelles qu'elle avait Attachées à ses souliers avec des cordons
en manière de cothurnes. Elle avait remarqué une chaussure
analogue aux pieds de Zdenko dans sa dernière expédition nocturne.

Avec ces semelles de feutre, Zdenko marchait sans faire aucun bruit
dans les corridors du château, et c'est pour cela qu'il lui avait
semblé glisser comme une ombre plutôt que marcher comme un
homme. C'était aussi jadis la coutume des Hussites de chausser ainsi
leurs espions, et même leurs chevaux, lorsqu'ils effectuaient une
surprise chez l'ennemi.
A la cinquante-deuxième marche, Consuelo trouva une dalle plus
large et une arcade basse en ogive. Elle n'hésita point à y entrer, et
à s'avancer à demi courbée dans une galerie souterraine étroite
et basse, toute dégouttante de l'eau qui venait d'y couler, travaillée
et voûtée de main d'homme avec une grande solidité.
Elle y marchait sans obstacle et sans terreur depuis environ cinq
minutes, lorsqu'il lui sembla entendre un léger bruit derrière elle.
C'était peut-être Zdenko qui redescendait et qui reprenait le chemin
du Schreckenstein. Mais elle avait de l'avance sur lui, et doubla le pas
Pour n'être pas atteinte par ce dangereux compagnon de voyage. Il ne
pouvait pas se douter qu'elle l'eût devancé. Il n'avait pas de raison
pour courir après elle; et pendant qu'il s'amuserait à chanter et
à marmotter tout seul ses complaintes et ses interminables histoires,
elle aurait le temps d'arriver et de se mettre sous la protection d'Albert.
Mais le bruit qu'elle avait entendu augmenta, et devint semblable
à celui de l'eau qui gronde, lutte, et s'élance. Qu'était-il donc
arrivé? Zdenko s'était-il aperçu de son dessein? Avait-il
lâché l'écluse pour l'arrêter et l'engloutir? Mais il n'avait pu le
faire avant d'avoir passé lui-même, et il était derrière elle. Cette
réflexion n'était pas très rassurante. Zdenko était capable de se
dévouer à la mort, de se noyer avec elle plutôt que de trahir la
retraite d'Albert. Cependant Consuelo ne voyait point de pelle, point
d'écluse, pas une pierre sur son chemin qui put retenir l'eau, et la
faire ensuite écouler. Cette eau ne pouvait être qu'en avant de son
chemin, et le bruit venait de derrière elle. Cependant il grandissait, il
montait, il approchait avec le
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