Consuelo, Tome 2 | Page 3

George Sand
ainsi: De profondis clamavi ad te Et ces mots latins ??taient soulign??s avec une encre qui semblait fra??che, car elle avait un peu coll?? au verso de la page suivante. Elle feuilleta tout le volume, qui ??tait une fameuse bible ancienne, dite de Kralic, ??dit??e en 1579, et n'y trouva aucune autre indication, aucune note marginale, aucun billet. Mais ce simple cri parti de l'ab??me, et pour ainsi dire des profondeurs de la terre, n'??tait-il pas assez significatif, assez ??loquent? Quelle contradiction r??gnait donc entre le voeu formel et constant d'Albert et la conduite r??cente de Zdenko?
Consuelo s'arr?ata ?? sa derni?¨re supposition. Albert, malade et accabl?? au fond du souterrain, qu'elle pr??sumait plac?? sous le Schreckenstein, y ??tait peut-?atre retenu par la tendresse insens??e de Zdenko. Il ??tait peut-?atre la proie de ce fou, qui le ch??rissait ?? sa mani?¨re, en le tenant prisonnier, en c??dant parfois ?? son d??sir de revoir la lumi?¨re, en ex??cutant ses messages aupr?¨s de Consuelo, et en s'opposant tout ?? coup au succ?¨s de ses d??marches par une terreur o?1 un caprice inexplicable. Eh bien, se dit-elle, j'irai, duss??-je affronter les dangers r??els; j'irai, duss??-je faire une imprudence ridicule aux yeux des sots et des ??go?ˉstes; j'irai, duss??-je y ?atre humili??e par l'indiff??rence de celui qui m'appelle. Humili??e! et comment pourrais-je l'?atre, s'il est r??ellement aussi fou lui-m?ame que le pauvre Zdenko? Je n'aurai sujet que de les plaindre l'un et l'autre, et j'aurai fait mon devoir. J'aurai ob??i ?? la voix de Dieu qui m'inspire, et ?? sa main qui me pousse avec une force irr??sistible.
L'??tat f??brile o?1 elle s'??tait trouv??e tous les jours pr??c??dents, et qui, depuis sa derni?¨re rencontre malencontreuse avec Zdenko, avait fait place ?? une langueur p??nible, se manifesta de nouveau dans son ?¢me et dans son corps. Elle retrouva toutes ses forces; et, cachant ?? Am??lie et le livre, et son enthousiasme, et son dessein, elle ??changea des paroles enjou??es avec elle, la laissa s'endormir, et partit pour la source des Pleurs, munie d'une petite lanterne sourde qu'elle s'??tait procur??e le matin m?ame.
Elle attendit assez longtemps, et fut forc??e par le froid de rentrer plusieurs fois dans le cabinet d'Albert, pour ranimer par un air plus ti?¨de ses membres engourdis. Elle osa jeter un regard sur cet ??norme amas de livres, non pas rang??s sur des rayons comme dans une biblioth?¨que, mais jet??s p?ale-m?ale sur le carreau, au milieu de la chambre, avec une sorte de m??pris et de d??go??t. Elle se hasardai ?? en ouvrir quelques-uns. Ils ??taient presque tous ??crits en latin, et Consuelo put tout au plus pr??sumer que c'??taient des ouvrages de controverse religieuse, ??man??s de l'??glise romaine ou approuv??s par elle. Elle essayait d'en comprendre les titres, lorsqu'elle entendit enfin bouillonner l'eau de la fontaine. Elle y courut, ferma sa lanterne, se cacha derri?¨re le garde-fou, et attendit l'arriv??e de Zdenko. Cette fois, il ne s'arr?ata ni dans le parterre, ni dans le cabinet. Il traversa les deux pi?¨ces, et sortit de l'appartement d'Albert pour aller, ainsi que le sut plus tard Consuelo, regarder et ??couter, ?? la porte de l'oratoire et ?? celle de la chambre ?? coucher du comte Christian, si le vieillard priait dans la douleur ou reposait tranquillement. C'??tait une sollicitude qu'il prenait souvent sur son compte, et sans qu'Albert e??t song?? ?? la lui imposer, comme on le verra par la suite.
Consuelo ne d??lib??ra point sur le parti qu'elle avait ?? prendre; son plan ??tait arr?at??. Elle ne se fiait plus ?? la raison ni ?? la bienveillance de Zdenko; elle voulait parvenir jusqu'?? celui qu'elle supposait prisonnier, seul et sans garde. Il n'y avait sans doute qu'un chemin pour aller sous terre de la citerne du ch?¢teau ?? celle du Schreckenstein. Si ce chemin ??tait difficile ou p??rilleux, du moins il ??tait praticable, puisque Zdenko y passait toutes les nuits. Il l'??tait surtout avec de la lumi?¨re; et Consuelo s'??tait pourvue de bougies, d'un morceau de fer, d'amadou, et d'une pierre pour avoir de la lumi?¨re en cas d'accident. Ce qui lui donnait la certitude d'arriver par cette route souterraine au Schreckenstein, c'??tait une ancienne histoire qu'elle avait entendu raconter ?? la chanoinesse, d'un si?¨ge soutenu jadis par l'ordre teutonique. Ces chevaliers, disait Wenceslawa, avaient dans leur R??fectoire m?ame une citerne qui leur apportait toujours de l'eau d'une montagne voisine; et lorsque leurs espions voulaient effectuer une sortie pour observer l'ennemi, ils dess??chaient la citerne, passaient par ses conduits souterrains, et allaient sortir dans un village qui ??tait dans leur d??pendance. Consuelo se rappelait que, selon la chronique du pays, le village qui couvrait la colline appel??e Schreckenstein depuis l'incendie d??pendait de la forteresse des G??ants, et avait avec lui de secr?¨tes intelligences en temps de si??ge. Elle ??tait donc dans la logique et dans la v??rit??
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