Confession de Minuit | Page 8

Georges Duhamel
Mais ne perdons pas de temps avec L��pargneux.
Arriv�� sur le carr�� du quatri��me, je confiai le catalogue au paillasson de Marguerite et tout de suite, je fis, avec deux doigts, mon petit bruit contre notre porte. Il y a une sonnette, j'ai des clefs; pourtant je ne me sers jamais de tout cela. J'ai une fa?on �� moi de frapper. ?a simplifie la vie.
Ma m��re vint m'ouvrir et je fis d'abord, ce jour-l��, comme �� l'ordinaire, car les heures de la vie quotidienne forment une machine toute-puissante dont les pi��ces successives nous saisissent, nous poussent et nous manipulent au m��pris de nos d��cisions. Cela veut dire que j'embrassai ma m��re, que je posai ma canne dans la grande potiche en terre, que j'accrochai mon feutre au porte-manteau et que je passai dans la cuisine pour me laver les mains. J'ob��issais �� de vieilles forces tyranniques, mais je n'avais rien perdu de ma col��re qui se tortillait �� l'int��rieur de moi comme un chat dans un sac.
Ma m��re me suivit dans la cuisine. Elle souleva doucement, avec le bout de sa mouvette, le couvercle de la cocotte, et elle me dit en hochant la t��te:
--Louis, je t'ai fait une petite selle de gigot. La viande est ch��re en ce moment; mais j'��tais contente de te faire une petite selle de gigot, tu aimes tant ?a!
Que venait faire, dites-moi, cette selle de gigot au milieu de mon tourment? A-t-on vraiment id��e de parler cuisine �� un homme frapp�� par l'injustice, �� un homme en proie au d��sespoir et �� la fureur? Cette selle de gigot me remplit d'humiliation, elle me couvrit, pour moi-m��me, de ridicule. Je fus profond��ment froiss��; j'eus l'impression tr��s nette que ma m��re se moquait de moi.
Et puis, pourquoi parler du prix de la viande? Je le savais bien que la viande ��tait ch��re. Etait-ce vraiment le moment de me parler du co?t de la vie, alors que je venais de perdre ma place? Je vous assure que je re?us en plein visage, comme une gifle, la phrase de maman. Pourtant je ne dis rien, pour ne rien ab?mer de mon ressentiment, pour le laisser entier, redoutable, sans r��plique. Je passai rapidement en revue toutes mes r��ponses. Elles ��taient pr��tes; p��remptoires, cinglantes, rang��es devant mes yeux comme des armes au ratelier.
Je me disposai donc �� passer dans ma chambre pour me d��chausser avec bruit, ainsi que je l'avais d��cid��. Au dernier moment, je n'en eus pas le courage. Je pensai: ?Il vaut mieux attendre une bonne occasion, par exemple que maman me parle encore une fois de cette selle de gigot?.
Notre repas commen?a. J'avais l'estomac serr��, ratatin��. Je ne mangeais pas de bon coeur. Je regardais le fond de mon assiette et j'��cartais les morceaux de viande pour apercevoir les d��fauts de la fa?ence. Je connais exactement tous les d��fauts de nos vieilles assiettes.
Je sentais le regard de ma m��re qui s'attachait �� moi, qui ne me lachait plus et je pensais que ??a devait se voir?, que ma disgrace ��tait ��crite en toutes lettres sur mon visage. J'en conclus que j'��tais un pauvre sire, impuissant �� dissimuler ses sentiments. Cela me valut un surcro?t de rancoeur.
Entre les plats, j'attendais, sans mot dire. Je ne voulais pas laisser mes mains sur la table. J'��prouve une esp��ce de pudeur pour mes mains. Si j'avais un grand secret, mes mains me trahiraient: elles sont incapables de feinte. Je laissais donc pendre mes bras, qui sont fort longs, et, du bout des doigts, je tourmentais mes chaussettes, ce qui est une manie grotesque dont je ne peux me d��faire.
Ma m��re me dit avec une douceur particuli��rement offensante:
--Laisse donc tes chaussettes, mon pauvre Louis, tu vas leur faire des trous.
Je remis sur la table mes mains qui tremblaient de rage. Pourquoi ?pauvre Louis?! Je n'aime pas qu'on me prenne en commis��ration, surtout quand je ne m��rite pas autre chose. Et puis, pourquoi s'attaquer �� mes habitudes, �� mes tics? J'ai pass�� l'age o�� un homme de ma trempe peut tenter de s'am��liorer. La remarque de ma m��re me parut non seulement inutile, car elle me l'a d��j�� faite mille fois, mais encore injurieuse dans la situation o�� je me trouvais. En outre, j'estimai peu d��licat de me recommander le m��nagement �� l'��gard de mes chaussettes dans un moment o�� notre pauvret�� allait peut-��tre se transformer en mis��re.
Je fus sur le point de donner libre cours aux phrases toutes pr��par��es qui me gonflaient la gorge; mais, par laquelle commencer? Elles se pressaient �� l'issue, comme des moutons affol��s qui veulent tous franchir en m��me temps une porte ��troite. Si bien que, cette fois encore, je ne dis rien.
J'achevais mon d��jeuner en regardant les meubles, les murs, la chemin��e, les objets t��moins de mon existence et complices de maintes pens��es secr��tes: les lapins de biscuit,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 47
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.