Confession de Minuit | Page 9

Georges Duhamel
sur le buffet, la pendule qui porte une figurine de bronze et qui sait sur moi des histoires qu'elle fera bien de garder pour elle. Je regardais le paysage tyrolien, dans son cadre, ce paysage de montagnes o�� les meilleurs r��ves de mon enfance se sont consum��s, taris.
Aucun de ces bibelots, aucun des meubles ne voulait faire cause commune avec moi.
Tous me d��visageaient de fa?on insolente. Je sentais qu'au premier mot de la querelle ils seraient tous du c?t�� de ma m��re, tous contre moi.
Comme nous achevions le repas, j'aper?us, sur le coin de la machine �� coudre, la lettre que m'avait remise notre concierge.
Le regard de ma m��re devait accompagner le mien, car elle murmura presque aussit?t:
--C'est probablement une lettre de Lanoue. Je crois avoir reconnu l'��criture. Tu ne l'as pas ouverte.
C'��tait vrai. Moi qui attends avec une si f��brile impatience le courrier qui ne m'apporte presque jamais rien, moi qui n'ouvre jamais une lettre sans penser qu'elle contient la grande nouvelle capable de bouleverser mon avenir, je n'avais pas d��cachet�� cette lettre-l��.
Je l'ouvris avec un sentiment de morne d��fiance: ce ne pouvait ��tre qu'une mauvaise nouvelle. Je naviguais dans une de ces passes o�� l'on se trouve offert aux coups du sort, qui se fait rarement faute d'en profiter.
Ce n'��tait rien, rien du tout. Lanoue m'annon?ait qu'il prenait ses vacances et me priait de l'aller voir �� la premi��re occasion.
--Tu iras ce soir, me dit maman.
Une phrase que je n'avais pas du tout pr��par��e me vint aux l��vres et s'��chappa, sans qu'il m'ait ��t�� possible de la retenir. Je r��pondis:
--Non! J'irai cet apr��s-midi.
A peine eus-je articul�� ces mots que je devinai l'imminence de la grande crise. Je n'avais plus �� revenir sur mes pas. La guerre ��tait d��clar��e. Je me sentis le visage enflamm��, les tempes battantes, les l��vres retrouss��es comme celles d'un roquet qui rel��ve un d��fi.
Ma m��re allait s?rement r��pondre: ?Comment? Cet apr��s-midi? Et le bureau?? Je ne lui en laissai pas le temps et je prof��rai, avec une force explosive:
--Je ne vais pas au bureau cet apr��s-midi. Je n'irai plus chez Socque et Sureau. C'est fini! C'est fini! J'ai perdu ma place.
J'��tais debout, raide; mais je me sentais quand m��me comme ramass��, pr��t �� bondir. Je soufflais fort; j'attendais.
Ma m��re ��tait venue s'asseoir dans son fauteuil, pr��s de la fen��tre. Elle leva la t��te sans se presser et me regarda.
Ma m��re porte lunettes, �� cause de l'age. Elle a des yeux d'un bleu chaud, miroitant. Quand elle veut voir bien en face, elle rel��ve la t��te pour mieux utiliser ses verres.
C'est comme cela qu'elle me regarda, paisiblement, pendant une grande minute. Et je voyais son beau regard attach�� sur moi, ce regard charg�� de tendresse inqui��te, ce regard qui ne m'a pas quitt�� depuis que je suis au monde. Je sentais mes jambes trembler, trembler. Alors ma m��re murmura d'une voix si naturelle, si profonde, si s?re:
--Que veux-tu, mon Louis, une place, ?a se retrouve. Ce n'est pas un grand malheur.
O supr��me sagesse! O bont��! C'��tait vrai, ce n'��tait pas un malheur. Je l'entrevis dans un ��clair. C'��tait vrai, nul malheur ne m'��tait arriv��. Alors, pourquoi donc ��tais-je malheureux, pourquoi donc ��tais-je mis��rable?
Je fis un pas, deux pas, et puis je sentis que je n'��tais plus le ma?tre, que la meute des b��tes enrag��es qui me ravageait allait s'enfuir en d��sordre, me d��livrer. J'eus la D��chirante impression d'��tre sauv��, tir�� de l'ab?me. Je tombai �� genoux devant la pauvre femme, je cachai mon visage dans sa robe et me pris �� sangloter avec fureur, avec fr��n��sie; des sanglots qui me sortaient du ventre, et qui d��ferlaient, comme des vagues de fond, chassant tout, balayant tout, purifiant tout.

IV
Une temp��te erre sans cesse par le monde des hommes. Heureux les coeurs torrides qui en sont visit��s! Heureuses les campagnes dess��ch��es que cet orage d��salt��re!
Je ne me cache pas d'avoir pleur��. Je n'ai que trop de choses �� dissimuler, je peux bien avouer ces larmes-l��: je leur dois le meilleur instant de ma vie.
Je vous l'ai dit, j'��tais �� genoux devant ma m��re, j'��tais prostern�� devant tant de bont�� simple, devant tant de divination affectueuse. Et je n'��tais pas press�� de m'en aller, moi qui ne pense jamais qu'�� changer de place.
Maman ne disait rien; elle avait pos�� ses mains sur ma t��te. Elle devait ��tre tr��s ��mue; je sentais pourtant qu'avec la pointe d'un ongle elle grattait une petite tache au col de mon veston: elle est si soigneuse pour moi, si soucieuse de moi et si fi��re de moi, la pauvre femme, comme s'il ��tait vraiment possible que quelqu'un soit fier de moi!
Je reprenais peu �� peu mes esprits et je disais:
--Maman! Nous qui avons justement des difficult��s d'argent.
Et ma m��re de r��pondre, avec simplicit��:
--Mais, mon Louis, nous n'avons aucune difficult�� d'argent.
C'��tait vrai: nous ��tions pauvres,
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