Confession de Minuit | Page 7

Georges Duhamel
m'avait laiss�� passer l'age des bourses scolaires sans m'aiguiller dans la bonne direction. C'��tait elle qui m'avait pouss�� �� rechercher des fonctions incompatibles avec mon caract��re. C'��tait elle qui allait maintenant m'accabler de reproches, me parler de nos difficult��s d'argent, me faire mesurer ma sottise et mon insuffisance. Non! Non! Je ne pouvais tol��rer cela.
Il faisait une chaleur orageuse, d��primante. A force de tourner, je suais �� larges gouttes et marchais comme un homme pris de boisson. En fait, j'��tais ivre, ivre d'amertume et de col��re. Pourtant, l'essentiel ��tait acquis: j'avais pr��par�� toutes mes r��ponses, j'��tais charg�� de rancune comme un mortier de coton-poudre. J'��tais par��. J'aurais le dernier mot.
Vous pouvez, monsieur, me consid��rer avec d��go?t. J'y consens. Mais je dois dire les choses comme elles sont. Maintenant, imaginez l'esp��ce de forcen�� que j'��tais au moment o�� j'entendis sonner midi et demi et o�� je me dirigeai vers la rue du Pot-de-Fer, de l'air press�� d'un homme qui a bien gagn�� sa nourriture.

III
Le couloir qui perfore notre maison, au ras du sol, est sombre d��s la porte, comme un terrier. D'innombrables pas en ont us�� le dallage, au milieu, si bien qu'il semble, dans toute sa longueur, creus�� d'une rigole o�� s��journe l'eau fangeuse apport��e l�� par les souliers. Ce n'est pas un reste des eaux de lavage: la concierge est vieille et ne lave jamais.
Ce corridor, est, pour moi, un lieu poignant, un de ces endroits qui font partie de notre ame. Toutes mes joies, toutes mes d��tresses, toutes mes fureurs ont d? passer par ce laminoir. Elles ont laiss�� aux parois des traces ind��l��biles, des taches autres que celles qu'y imprime l'humidit��, des odeurs farouches que je suis seul �� percevoir, mille souvenirs rugueux qui ralentissent toujours mon allure et m'abreuvent de m��lancolie.
Le soleil, cause de tout oubli, n'a jamais revu ce corridor, depuis le jour perdu dans le pass�� o�� les ma?ons l'enfouirent sous la maison comme un tombeau ��gyptien sous une pyramide. C'est peut-��tre pourquoi le couloir est si grouillant de fant?mes.
Je l'aime, comme on aime ces maladies qui font partie de nos habitudes, comme on aime les fleurs peintes sur la muraille pendant les nuits o�� l'on ne dort pas.
J'aime le rectangle de clart�� bl��me que, par les soirs d'hiver, le bec de gaz du trottoir d��coupe sur la paroi de mon corridor.
J'aime l'odeur humble et fade qui r?de, avec les courants d'air, dans cet intestin de ma maison. Si je ressuscite dans cinq cents ans, je reconna?trai cette odeur entre toutes les odeurs du monde. Ne vous moquez pas de moi; vous ch��rissez peut-��tre des choses plus sales et moins avouables.
S'il m'arrive de rentrer d'une de ces promenades o�� l'on a go?t�� maintes choses nouvelles, ��prouv�� mille d��sirs, s'il m'arrive de revenir d'une belle journ��e comme d'un bain purificateur, mon corridor me tombe sur les ��paules et me dit: ?Attention! Tu n'es jamais qu'un Salavin?. Cet avertissement me glace, mais il m'est salutaire, car c'est bien inutile de se donner illusion sur soi-m��me.
Vous le voyez, jusque dans mon r��cit le corridor agit; il me retarde, il refroidit mon histoire; il me paralyse ainsi qu'il faillit me paralyser ce jour-l��, le jour de mon aventure.
Mais, je vous l'ai dit, j'avais trop d'��lan: je traversai le couloir comme une fondri��re encombr��e de ronces; je fus d��chir��, je passai n��anmoins et, d'un seul mouvement, je me trouvai sur le palier du premier ��tage.
L��, v��g��te notre vieille concierge, dans une obscurit�� hant��e d'odeurs culinaires, sous le crachotement d'un ��ternel bec Auer au tuyau gorg�� d'eau. La lumi��re meurt et rena?t cent fois par minute, et, pendant ses agonies, on voit un oeil-de-boeuf ouvert sur le cr��puscule de la cour int��rieure.
Notre concierge est en train de finir �� l'endroit m��me o�� on l'a plant��e jadis. Elle meurt par la t��te, comme les peupliers. Elle est �� peu pr��s folle, et presque compl��tement aveugl��e par une double cataracte qui lui fait des pupilles laiteuses. A part cela, elle nous reconna?t tous, ses locataires, au pas, au souffle, et �� beaucoup d'autres petits signes qui la renseignent sans qu'elle les puisse analyser. Quelque chose de comparable �� la sensibilit�� des mollusques s��dentaires.
La concierge cogna donc �� la porte et me dit:
--Louis, il y a une lettre pour toi et un catalogue pour Marguerite. Tu voudras bien le lui donner en passant, mon gar?on.
Marguerite est notre voisine, une couturi��re. Je pris lettre et catalogue et je continuai l'ascension. Je montais vite, pour ne pas laisser �� mes r��solutions le temps de s'��parpiller. Le tournoiement de l'escalier me procurait un l��ger vertige bien connu. Malgr�� la tension de mon esprit, je ne manquai point �� l'habitude, vieille comme ma vie, d'��peler, en passant au second ��tage, la plaqu�� de L��pargneux: sp��cialiste d'espadrilles et semelles de cordes. C'est un industriel en taudis, un mange-des-briques.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 47
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.