Confession de Minuit | Page 6

Georges Duhamel
ais��ment.
Vous le voyez, mes r��flexions ��taient loin d'��tre apaisantes. En arrivant au pont d'Austerlitz, j'��tais r��solu �� donner avis de mon renvoi sans le moindre commentaire.
Le pont d'Austerlitz est un beau pont. Il s'��lance au milieu d'un grand espace blanc. D��s qu'il y a un peu de clart�� sur Paris, c'est pour le pont d'Austerlitz. L��, il y a toujours du vent, des odeurs de voyage, des bateaux laborieux, des marchands de riens, des photographes en plein air qui rechargent leurs appareils sous les cottes de leur femme en guise de chambre noire, enfin toutes sortes de distractions pour les yeux. Le pont fait un peu le gros dos, comme s'il ��tait agr��ablement chatouill�� par les tramways et les fardiers qui lui courent sur l'��chine. En g��n��ral, je me plais bien dans les environs du pont d'Austerlitz. C'est un endroit qui n'est pas trop compromis avec mes mauvais souvenirs. Je ne me rappelle pas avoir jamais pass�� le pont d'Austerlitz en ��tat de honte, ou de col��re. ?a compte, des choses comme ?a!
Malheureusement, ce jour-l��, le pont d'Austerlitz ne me fit aucun bien. Mes soucis ��taient trop cuisants: le pont d'Austerlitz ne fut pas de force.
Je me dirigeai vers le jardin des Plantes et je pensai: ?S?rement, ?a ira mieux dans l'all��e des platanes?; car, cette grande all��e qui monte vers le Mus��um, c'est un endroit o�� je suis presque toujours heureux.
L'all��e des platanes fut un ��chec complet. En arrivant au niveau des serres, j'��tais un peu plus m��content, un peu plus troubl�� qu'en passant la grille du jardin. L'all��e m'avait laiss�� filer avec une indiff��rence ��vidente, sans plus s'occuper de moi que d'un ��tranger, sans me faire le moindre signe d'amiti��, �� moi qui, depuis cinq ans, la caressais dans toute sa longueur quatre fois par jour en ��t�� et trois fois par jour en hiver.
J'en ressentis une p��nible impression d'abandon et d'hostilit�� chez les choses. Mauvais signe, monsieur, quand les choses nous trahissent dans les circonstances graves.
Bien pis! la vue du jardin botanique me procura un trouble impr��vu: le jardin botanique ��tait ferm��. Je compris donc que j'��tais en avance et que, si je poursuivais ma route, mon arriv��e �� la maison, en pleine matin��e, aurait quelque chose d'insolite qui pr��cipiterait la catastrophe, c'est-��-dire l'explication.
Je revins vers la fosse aux ours. Je ne le fis pas sans une sourde col��re: toutes mes habitudes renvers��es! Rien d'��tonnant que le monde familier ne me f?t pas secourable, puisque je bouleversais tout, puisque je d��non?ais le pacte, puisque j'arrivais alors que l'on ne m'attendait pas, comme un mari soup?onneux qui revient de voyage �� l'improviste.
J'avais plus d'une heure �� gaspiller avant de pouvoir regagner la rue du Pot-de-Fer. Je passai ce temps �� louvoyer autour du jardin botanique, comme un navire en vue du port et qui attend le flot pour entrer.
J'��tais bien d��cid�� �� ne pas souffler mot de mon histoire; mais la certitude que ma m��re allait me demander des ��claircissements ne laissait pas de m'exasp��rer.
Je pensais: ?Si elle m'adresse le moindre reproche, je ne lui r��pondrai rien. Je resterai glac��, digne, comme un homme qui a souffert une grande injustice. Car, somme toute, je suis la victime dans cette affaire. Je viens de souffrir une grande injustice, on me doit excuses et consolations.
?S?rement, elle va me gronder, elle me traite toujours comme un enfant. S?rement, elle va se plaindre, me questionner, me parler argent. Oh! ?a, non! Voil�� une mati��re qui a le don de m'exasp��rer. Je ne veux pas entendre parler argent.
?Si, comme la chose est vraisemblable, elle me gourmande, je suis r��solu �� ne rien lui cacher de ce que je pense. Je lui dirai mon avis sur cette sale situation que je viens de perdre. Est-ce ma faute, �� moi, si je suis entr�� dans les bureaux? Moi, je voulais faire de la chimie. Je n'ai aucune aptitude pour ce hideux m��tier de rond-de-cuir. Pourquoi maman m'a-t-elle pouss�� �� prendre une place chez Mo?tier, d'abord, chez Socque et Sureau ensuite? J'��tais fait pour la chimie. Tout ce qui arrive devait fatalement arriver. Pourquoi ne m'a-t-elle pas laiss�� suivre ma voie? Nous sommes pauvres, c'est entendu; mais ce n'est pas une raison pour avoir fauss�� ma carri��re, perdu ma vie, compromis, gach�� mon bonheur. Non! Non! Je n'accepte aucun reproche au sujet de cette situation que je viens de perdre. Si on ne m'avait pas forc�� �� la prendre, je ne l'aurais pas perdue.?
En arpentant les all��es tortueuses du Labyrinthe, je me sentais gonfl��, tum��fi�� par un monde de pens��es venimeuses. Mes pas revenaient toujours dans le m��me cercle stupide et mes sentiments tournoyaient sur place, comme un vol de sansonnets qui ne sait o�� se poser. J'arrivais graduellement �� cette conclusion que ma m��re ��tait la seule personne responsable de mon infortune. C'��tait elle qui
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