Comte du Pape | Page 7

Hector Malot
radieux; et avec tout
cela la beauté correcte d'une statue, de la tête aux pieds.
Madame Prétavoine, qui cependant n'était guère sensible à la beauté,
fut émerveillée.
Elle s'était levée; elle resta un moment sans parler.
Ce fut madame de la Roche-Odon qui commença l'entretien:
--On me dit, madame, que vous avez à me remettre une lettre de M.
Filsac; il a été plein de zèle, plein de dévouement pour moi M. Filsac,
et je serais heureuse de lui témoigner ma reconnaissance pour ses bons
soins.
Cela fut dit avec une bonne grâce parfaite qui eût donné du courage à la
solliciteuse la plus réservée.
Mais ce n'était point en solliciteuse que madame Prétavoine se
présentait.
Elle tendit à la vicomtesse la lettre de l'avoué.
Bien qu'elle fût longue, madame de la Roche-Odon la lut d'un coup
d'oeil.
--Ah! madame, dit-elle lorsqu'elle l'eut achevée, combien j'ai d'excuses
à vous faire; c'est vous qui venez chez moi quand c'eût été à moi d'aller
chez vous, si vous aviez bien voulu m'envoyer cette lettre au lieu de
prendre la peine de me l'apporter.
--C'était à moi, madame, d'avoir l'honneur de vous faire la première
visite.
--M. Filsac me dit que vous voyez souvent ma chère fille et que vous
pouvez me parler d'elle longuement. Comment est-elle, la pauvre
petite?
C'était là que madame Prétavoine attendait madame de la Roche-Odon;
la première partie de son plan avait réussi, elle était entrée dans la place.
A elle maintenant, à son adresse, de s'y établir, à son tact de s'y
maintenir.
Puisqu'on l'interrogeait, elle pouvait répondre, et pour cela prendre son
temps.
--Il faut, dit-elle, que je vous explique, madame, comment M. Filsac a
été amené à me charger de cette lettre et à vous faire parvenir par moi
des nouvelles de mademoiselle Bérengère. Touchés, comme tous les

catholiques, des malheurs du Saint-Père, nous avons organisé dans le
diocèse de Condé une loterie de Saint-Pierre, dont le produit devait être
offert à Sa Sainteté. Grâce au ciel, nous avons ainsi réuni une assez
grosse somme, je dis grosse, relativement à nos ressources,--et comme
j'étais la trésorière de l'oeuvre, j'ai été désignée pour la porter à Rome.
Bien que madame Prétavoine n'eût jamais étudié l'art de la rhétorique,
elle venait, en peu de mots, de bâtir un exorde qui réunissait toutes les
qualités requises.
Le but de l'exorde étant de se concilier la bienveillance de la personne à
laquelle on s'adresse, madame Prétavoine avait voulu tout d'abord se
faire connaître. Qui elle était? Une des premières de Condé assurément,
puisqu'elle avait été la trésorière d'une oeuvre importante, et que de
plus elle avait été choisie entre tous pour venir à Rome, au nom du
diocèse entier; catholique fervente, cela va sans dire, et dévouée aux
intérêts du Saint-Père, compatissante à ses malheurs. Que demander
encore? Tout de suite on voyait à qui on avait affaire et quelle foi on
devait accorder à ses paroles.
Elle poursuivit:
--Quand M. Filsac, votre avoué, apprit que le choix de notre comité
s'était porté sur moi, il vint me faire une visite et me demanda de vous
voir dans ce voyage. M. Filsac est un homme de bien, pour qui nous
avons tous une grande estime, je n'avais rien à lui refuser. Mais, d'autre
part, j'avais des raisons particulières pour accepter avec empressement
la mission qu'il voulait bien me confier. En effet, j'ai le plaisir de
connaître mademoiselle Bérengère, avec laquelle je dîne tous les jeudis
à la table de son grand-père.
Dire à madame de la Roche-Odon qu'on était reçu dans l'intimité du
comte qu'elle détestait, était assez hardi, mais si cette révélation pouvait
affaiblir la bienveillance de la vicomtesse, elle devait par contre
provoquer son estime; mieux que personne elle savait que tout le
monde n'était pas admis à l'honneur de s'asseoir à la table de son
beau-père.
--Ayant reçu la visite de M. Filsac, continua madame Prétavoine, j'ai
hésité sur la question de savoir si je dirais à mademoiselle votre fille
que je vous verrais dans mon voyage à Rome. Mais il m'a semblé que
c'était jusqu'à un certain point intervenir dans des querelles de famille
qui doivent toujours rester fermées aux étrangers, et avant de partir je

n'ai rien dit à mademoiselle Bérengère.
--Ma fille m'écrit.
--Assurément, aussi n'aurais-je rien pu vous rapporter de particulier,
tandis que je puis vous parler d'elle et cela sans que ma démarche
puisse blesser M. le comte de la Roche-Odon, quand, de retour à Condé,
je la lui raconterai.
--M. de la Roche-Odon se blesse facilement.
--Il ne peut pas trouver mauvais qu'une mère ait pensé à apporter des
consolations à une mère qui, depuis plusieurs années, est séparée de son
enfant. C'est dans ce sens que j'ai accepté la lettre de M. Filsac; c'est
uniquement pour vous parler de mademoiselle Bérengère.
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