Comte du Pape | Page 5

Hector Malot
il savait qu'elle était
voulue et calculée: à coup sûr c'était un placement.

III
Le quartier de Rome habité par les étrangers, par les _forestiers_,
comme on dit, est celui de la place d'Espagne, avec ses rues
environnantes, via Sistina, via Gregoriana. En effet, il n'y a guère que là
qu'on trouve un peu de confort dans le logement et dans son
ameublement; ailleurs, les appartements sont généralement distribués et
meublés à la romaine, c'est-à-dire d'une façon un peu trop primitive
pour qui veut faire un long séjour à Rome. Et puis, raison meilleure
encore, ce quartier est à la mode.
C'était rue Gregoriana que demeurait madame la vicomtesse de la
Roche-Odon, dans une maison neuve et de belle apparence.
Ce fut à la porte de cette maison qu'Aurélien déposa sa mère.
Au coup de sonnette discret de madame Prétavoine, un petit
domestique italien de treize à quatorze ans vint ouvrir la porte.
--Madame la vicomtesse de la Roche-Odon?
Il parut hésitant, mais il y avait cela de particulier dans son hésitation
qu'il se montrait beaucoup plus disposé à rejeter la porte sur le nez de la
personne qui se tenait devant lui, qu'à la lui ouvrir.
Mais madame Prétavoine ne lui permit pas d'accomplir son dessein, car

se glissant vivement et adroitement par la porte entre-bâillée, elle était
dans le vestibule avant qu'il se fût décidé.
Il la regarda un moment interloqué, puis lui tournant le dos, il alla à une
porte et il appela avec son accent italien:
--Mademoiselle Emma.
Presque aussitôt arriva une personne de tournure imposante, âgée de
quarante ans environ, parée, attifée avec prétention, et qui devait être
une femme de chambre maîtresse ou une dame de compagnie.
Madame Prétavoine lui exposa son désir, qui était de voir madame la
vicomtesse de la Roche-Odon.
Pendant qu'elle parlait, mademoiselle Emma la toisait des pieds à la tête
et la dévisageait.
Cet examen ne fut sans doute pas favorable, car mademoiselle Emma
répondit que sa maîtresse ne pouvait pas recevoir.
Madame Prétavoine reprit ses explications, d'une voix douce, et elle
entra dans des détails qui devaient faire comprendre à cette femme de
chambre l'importance qu'elle lui reconnaissait.
--Elle venait de Condé-le-Châtel, le pays de M. le comte de la
Roche-Odon, beau-père de madame la vicomtesse.
--Il y a longtemps que je suis avec madame; je connais M. de la
Roche-Odon, dit la femme de chambre d'un ton qui montrait que le
moyen pour se mettre bien avec elle, n'était pas de lui parler «du
beau-père de la vicomtesse.»
--Alors, poursuivit madame Prétavoine sans s'émouvoir, vous devez
connaître M. Filsac, avoué à Condé, et qui s'est occupé des affaires de
madame la vicomtesse; c'est de sa part que je me présente avec une
lettre de lui.
Disant cela, elle tira en effet une lettre de sa poche.
--C'est différent, je vais alors prévenir madame; mais en tous cas, elle
est occupée en ce moment.
--J'attendrai.
Mademoiselle Emma la fit entrer dans un tout petit salon qui
communiquait avec le vestibule; puis elle se retira pour aller prévenir sa
maîtresse, et en s'en allant elle tira la porte de ce vestibule, mais
néanmoins sans la fermer complétement.
Madame Prétavoine s'était tout d'abord assise, et elle avait tiré de sa
poche un petit livre relié en chagrin noir qui devait être un livre

d'heures ou de prières, qu'elle avait ouvert; mais la femme de chambre
partie, au lieu de se mettre à lire dans son livre, elle le posa tout ouvert
sur une table qui était devant elle, et se levant vivement, en marchant
avec précaution sur le tapis, elle commença à examiner curieusement
les choses qui l'entouraient, meubles, tentures et gravures de la
calcographie accrochées aux murs.
Mais ce qui provoqua surtout son attention, ce furent des cartes de
visite jetées pêle-mêle dans une coupe de bronze.
Elle les prit et commença à les lire, mais les noms qu'elles portaient
étant pour la plupart étrangers et par suite assez difficiles à retenir; elle
tira un carnet de sa poche et se mit à les copier rapidement.
Pour ce qu'elle se proposait, il pouvait lui être utile de savoir avec qui
madame de la Roche-Odon était en relations, et puisqu'une sotte
habitude permet qu'on fasse ostentation des cartes qu'on reçoit, elle eût
été bien simple de ne pas profiter de cette bonne occasion.
Un coup de sonnette vint l'interrompre dans son travail; rapidement elle
abandonna les cartes et reprit son livre, de peur d'être surprise par un
nouvel arrivant.
En reculant d'un pas, il se trouva que par la porte entre-bâillée elle
pouvait voir dans le vestibule.
Son livre à sa main, elle glissa ses yeux jusque-là.
Le petit domestique qui l'avait reçue venait d'ouvrir la porte, mais en
reconnaissant celui qui se présentait, il lui avait fait signe qu'on ne
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