Comte du Pape | Page 4

Hector Malot
Quel malheur qu'une avvertenza placée au bas de cette
lettre dise que _E proibito di prensentare al santo padre domande in
inscritto per Indulgenze, Facolta, Privilegi_; mais enfin chaque chose
doit se faire en son temps et en son lieu.
Çà et là, autour de la table, sont assis d'autres ecclésiastiques, des curés,
des doyens à l'air important, de jeunes abbés avec leurs élèves,
auxquels ils expliquent les vers latins cités dans leurs guides.
Puis tout au bout, comme un président, un gros personnage, qui semble
trôner sur ses sacs d'écus, et qui, tout en mangeant fortement, hausse les
épaules en regardant le voyageur de commerce chaque fois qu'il voit
quelqu'un faire le signe de la croix, en homme qui n'a peur de rien, et
qui se demande comment on peut être assez arriéré pour se livrer
encore à ces vaines pratiques.
En se trouvant au milieu de ce monde, madame Prétavoine se sentit à
son aise; évidemment elle était dans son milieu. Elle fit une courte
génuflexion en passant à côté de l'évêque; mais, comme elle savait faire
aussi bien que voir plusieurs choses à la fois, elle aperçut à ce moment
même le sourire moqueur et le haussement d'épaules du gros
personnage qui mangeait au bout de la table.
Elle était femme de résolution, et dans sa vie elle avait tenu tête à des
gens assis sur de plus gros sacs d'écus que celui qui se moquait d'elle en
ce moment; elle s'arrêta et attacha sur lui deux yeux qui, bien qu'il ne
parût pas facile à intimider, lui firent baisser le nez dans son assiette.
Et comme à ce moment le maître d'hôtel qui s'était approché, lui
indiquait les places du bout de la table.
--Non, dit-elle, à haute voix de manière à être entendue de tout le
monde, pas de ce côté, mais ici.

Et de la main elle indiqua deux chaises libres à une courte distance de
l'évêque.
Les sourires du gros personnage et le coup d'oeil de madame
Prétavoine avaient été remarqués par plusieurs personnes, et
notamment par l'évêque.
La façon dont elle éleva la voix acheva de bien préciser la situation.
Il y eut comme un discret murmure d'approbation.
Et l'évêque, se tournant vers madame Prétavoine, lui fit une longue
inclinaison de tête.
Cependant madame Prétavoine et son fils étaient restés debout derrière
leurs chaises.
Avant de s'asseoir, ils se tournèrent tous deux vers le gros personnage,
mais sans le regarder; puis, ostensiblement et cependant sans
affectation, ils firent le signe de la croix et récitèrent leur Benedicite
avec recueillement. Lorsqu'ils l'eurent achevé, ils se signèrent de
nouveau et s'assirent.
Tous les yeux étaient fixés sur eux, et l'on avait cessé de manger.
--C'étaient là de vrais chrétiens, cette mère et son fils, que le respect
humain n'empêchait pas de confesser leur foi.
--Quelle était cette dame?
L'évêque fit un signe à son domestique et celui-ci s'étant penché, il lui
dit un mot à l'oreille.
Aussitôt le domestique sortit et au bout de deux minutes à peine il
revint, rapportant un petit carré sur lequel un nom était écrit: «Madame
Prétavoine.»
Cependant l'évêque avait achevé son déjeuner, il se leva, et avant de se
retirer il adressa un salut à madame Prétavoine et à Aurélien.
Et après lui toutes les personnes qui quittèrent la table saluèrent aussi la
mère et le fils.
De la fin de leur déjeuner à l'heure à laquelle ils pouvaient faire leurs
visites, madame Prétavoine et Aurélien avaient du temps à eux.
En regardant par sa fenêtre madame Prétavoine vit qu'elle avait une
église devant elle, elle se dit que son temps ne pouvait pas être mieux
employé qu'à faire une station dans cette église.
C'était la première fois qu'elle pénétrait dans une église romaine; mais
si elle voyait tout ce qui se passait autour d'elle elle ne prêtait guère
d'attention aux monuments. Pour elle cela n'avait pas d'utilité

immédiate et pratique, et une église quelle qu'elle fût n'était qu'une
église.
Cependant elle avait remarqué ces lourdes portières en cuir, qu'un
mendiant vous soulève pour vous permettre d'entrer et de sortir; en
sortant elle donna à celui qui lui souleva cette portière une pièce
d'argent assez grosse, le mendiant, ébloui de cette générosité, se
confondit en bruyantes bénédictions.
--Pendant que vous vous faites conduire chez madame de la
Roche-Odon, dit Aurélien, je vais aller chez Vaunoise.
--Conduisez-moi plutôt chez madame de la Roche-Odon, dit-elle, et
vous irez ensuite chez M. de Vaunoise; cela nous fera une heure de
voiture au lieu de deux courses.
Si Aurélien n'avait pas connu sa mère comme il la connaissait, il aurait
été assurément surpris de la voir donner une grosse pièce à un mendiant
et en économiser une petite sur une course de voiture; mais, s'il ne
devinait pas la cause de cette prodigalité apparente,
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