Colomba | Page 5

Prosper Mérimée
on e?t dit un mur. Je criais, j'exhortais mes dragons, je serrais la botte pour faire avancer mon cheval quand l'officier dont je vous parlais, ?tant enfin son cigare, me montra de la main �� un de ses hommes. J'entendis quelque chose comme: Al capello bianco! J'avais un plumet blanc. Je n'en entendis pas davantage, car une balle me traversa la poitrine. -- C'��tait un beau bataillon, monsieur della Rebbia, le premier du 18e l��ger, tous Corses, �� ce qu'on me dit depuis.
-- Oui, dit Orso dont les yeux brillaient pendant ce r��cit, ils soutinrent la retraite et rapport��rent leur aigle; mais les deux tiers de ces braves gens dorment aujourd'hui dans la plaine de Vittoria.
-- Et par hasard! sauriez-vous le nom de l'officier qui les commandait?
-- C'��tait mon p��re. Il ��tait alors major au 18e, et fut fait colonel pour sa conduite dans cette triste journ��e.
-- Votre p��re! Par ma foi, c'��tait un brave! J'aurais du plaisir �� le revoir, et je le reconna?trais, j'en suis s?r. Vit-il encore?
-- Non, colonel, dit le jeune homme palissant l��g��rement.
-- ��tait-il �� Waterloo?
-- Oui, colonel, mais il n'a pas eu le bonheur de tomber sur un champ de bataille... Il est mort en Corse... il y a deux ans... Mon Dieu! que cette mer est belle! il y a dix ans que je n'ai vu la M��diterran��e. -- Ne trouvez-vous pas la M��diterran��e plus belle que l'Oc��an, mademoiselle?
-- Je la trouve trop bleue... et les vagues manquent de grandeur.
-- Vous aimez la beaut�� sauvage, mademoiselle? �� ce compte, je crois que la Corse vous plaira.
-- Ma fille, dit le colonel, aime tout ce qui est extraordinaire; c'est pourquoi l'Italie ne lui a gu��re plu.
-- Je ne connais de l'Italie, dit Orso, que Pise, o�� j'ai pass�� quelque temps au coll��ge; mais je ne puis penser sans admiration au Campo-Santo, au D?me, �� la Tour pench��e... au Campo-Santo surtout. Vous vous rappelez la Mort, d'Orcagna... Je crois que je pourrais la dessiner, tant elle est rest��e grav��e dans ma m��moire.?
Miss Lydia craignit que monsieur le lieutenant ne s'engageat dans une tirade d'enthousiasme.
?C'est tr��s joli, dit-elle en baillant. Pardon, mon p��re, j'ai un peu mal �� la t��te, je vais descendre dans ma chambre.?
Elle baisa son p��re sur le front, fit un signe de t��te majestueux �� Orso et disparut. Les deux hommes caus��rent alors chasse et guerre.
Ils apprirent qu'�� Waterloo ils ��taient en face l'un de l'autre, et qu'ils avaient d? ��changer bien des balles. Leur bonne intelligence en redoubla. Tour �� tour ils critiqu��rent Napol��on, Wellington et Bl��cher, puis ils chass��rent ensemble le daim, le sanglier et le mouflon. Enfin, la nuit ��tant d��j�� tr��s avanc��e, et la derni��re bouteille de bordeaux finie, le colonel serra de nouveau la main au lieutenant et lui souhaita le bonsoir, en exprimant l'espoir de cultiver une connaissance commenc��e d'une fa?on si ridicule. Ils se s��par��rent, et chacun fut se coucher.

III
La nuit ��tait belle, la lune se jouait sur les flots, le navire voguait doucement au gr�� d'une brise l��g��re, miss Lydia n'avait point envie de dormir, et ce n'��tait que la pr��sence d'un profane qui l'avait emp��ch��e de go?ter ces ��motions qu'en mer et par un clair de lune tout ��tre humain ��prouve quand il a deux grains de po��sie dans le coeur. Lorsqu'elle jugea que le jeune lieutenant dormait sur les deux oreilles, comme un ��tre prosa?que qu'il ��tait, elle se leva, prit une pelisse, ��veilla sa femme de chambre et monta sur le pont. Il n'y avait personne qu'un matelot au gouvernail, lequel chantait une esp��ce de complainte dans le dialecte corse, sur un air sauvage et monotone. Dans le calme de la nuit, cette musique ��trange avait son charme. Malheureusement miss Lydia ne comprenait pas parfaitement ce que chantait le matelot. Au milieu de beaucoup de lieux communs, un vers ��nergique excitait vivement sa curiosit��, mais bient?t, au plus beau moment, arrivaient quelques mots de patois dont le sens lui ��chappait. Elle comprit pourtant qu'il ��tait question d'un meurtre. Des impr��cations contre les assassins, des menaces de vengeance, l'��loge du mort, tout cela ��tait confondu p��le-m��le. Elle retint quelques vers; je vais essayer de les traduire:
?-- Ni les canons, ni les ba?onnettes -- n'ont fait palir son front, -- serein sur un champ de bataille -- comme un ciel d'��t��. -- Il ��tait le faucon ami de l'aigle, -- miel des sables pour ses amis, -- pour ses ennemis la mer en courroux. -- Plus haut que le soleil, -- plus doux que la lune. -- Lui que les ennemis de la France -- n'atteignirent jamais, -- des assassins de son pays -- l'ont frapp�� par-derri��re, -- comme Vittolo tua Sampiero Corso[3]. -- Jamais ils n'eussent os�� le regarder en face. -- ... Placez sur la muraille, devant mon lit, -- ma
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