Colomba | Page 4

Prosper Mérimée
la main ferm��e que le jeune homme appuyait sur le rebord de la yole.
Le jeune Corse rougit, se redressa, se mordit les l��vres, et paraissait dispos�� �� r��pondre avec emportement, quand tout �� coup, changeant d'expression, il ��clata de rire. Le colonel, sa pi��ce �� la main, demeurait tout ��bahi.
?Colonel, dit le jeune homme reprenant son s��rieux, permettez-moi de vous donner deux avis: le premier, c'est de ne jamais offrir de l'argent �� un Corse, car il y a de mes compatriotes assez impolis pour vous le jeter �� la t��te; le second, c'est de ne pas donner aux gens des titres qu'ils ne r��clament point. Vous m'appelez caporal et je suis lieutenant. Sans doute, la diff��rence n'est pas bien grande, mais...
-- Lieutenant! s'��cria sir Thomas, lieutenant! mais le patron m'a dit que vous ��tiez caporal, ainsi que votre p��re et tous les hommes de votre famille.?
�� ces mots le jeune homme, se laissant aller �� la renverse, se mit �� rire de plus belle et de si bonne grace, que le patron et ses deux matelots ��clat��rent en choeur.
?Pardon, colonel, dit enfin le jeune homme; mais le quiproquo est admirable, je ne l'ai compris qu'�� l'instant. En effet, ma famille se glorifie de compter des caporaux parmi ses anc��tres; mais nos caporaux corses n'ont jamais eu de galons sur leurs habits. Vers l'an de grace 1100, quelques communes, s'��tant r��volt��es contre la tyrannie des seigneurs montagnards, se choisirent des chefs qu'elles nomm��rent caporaux. Dans notre ?le, nous tenons �� l'honneur de descendre de ces esp��ces de tribuns.
-- Pardon, monsieur! s'��cria le colonel, mille fois pardon. Puisque vous comprenez la cause de ma m��prise, j'esp��re que vous voudrez bien l'excuser.?
Et il lui tendit la main.
?C'est la juste punition de mon petit orgueil, colonel, dit le jeune homme riant toujours et serrant cordialement la main de l'Anglais; je ne vous en veux pas le moins du monde. Puisque mon ami Matei m'a si mal pr��sent��, permettez-moi de me pr��senter moi- m��me: je m'appelle Orso della Rebbia, lieutenant en demi-solde, et, si, comme je le pr��sume en voyant ces deux beaux chiens, vous venez en Corse pour chasser, je serai tr��s flatt�� de vous faire les honneurs de nos maquis et de nos montagnes... si toutefois je ne les ai pas oubli��s?, ajouta-t-il en soupirant.
En ce moment la yole touchait la go��lette. Le lieutenant offrit la main �� miss Lydia, puis aida le colonel �� se guinder sur le pont. L��, sir Thomas, toujours fort penaud de sa m��prise, et ne sachant comment faire oublier son impertinence �� un homme qui datait de l'an 1100, sans attendre l'assentiment de sa fille, le pria �� souper en lui renouvelant ses excuses et ses poign��es de main. Miss Lydia fron?ait bien un peu le sourcil, mais, apr��s tout, elle n'��tait pas fach��e de savoir ce que c'��tait qu'un caporal; son h?te ne lui avait pas d��plu, elle commen?ait m��me �� lui trouver un certain je ne sais quoi aristocratique; seulement il avait l'air trop franc et trop gai pour un h��ros de roman.
?Lieutenant della Rebbia, dit le colonel en le saluant �� la mani��re anglaise, un verre de vin de Mad��re �� la main, j'ai vu en Espagne beaucoup de vos compatriotes: c'��tait de la fameuse infanterie en tirailleurs.
-- Oui, beaucoup sont rest��s en Espagne, dit le jeune lieutenant d'un air s��rieux.
-- Je n'oublierai jamais la conduite d'un bataillon corse �� la bataille de Vittoria, poursuivit le colonel. Il doit m'en souvenir, ajouta-t-il, en se frottant la poitrine. Toute la journ��e ils avaient ��t�� en tirailleurs dans les jardins, derri��re les haies, et nous avaient tu�� je ne sais combien d'hommes et de chevaux. La retraite d��cid��e, ils se ralli��rent et se mirent �� filer grand train. En plaine, nous esp��rions prendre notre revanche, mais mes dr?les... excusez, lieutenant, -- ces braves gens, dis-je, s'��taient form��s en carr��, et il n'y avait pas moyen de les rompre. Au milieu du carr��, je crois le voir encore, il y avait un officier mont�� sur un petit cheval noir; il se tenait �� c?t�� de l'aigle, fumant son cigare comme s'il e?t ��t�� au caf��. Parfois, comme pour nous braver, leur musique nous jouait des fanfares... Je lance sur eux mes deux premiers escadrons... Bah! au lieu de mordre sur le front du carr��, voil�� mes dragons qui passent �� c?t��, puis font demi-tour, et reviennent fort en d��sordre et plus d'un cheval sans ma?tre... et toujours la diable de musique! Quand la fum��e qui enveloppait le bataillon se dissipa, je revis l'officier �� c?t�� de l'aigle, fumant encore son cigare. Enrag��, je me mis moi-m��me �� la t��te d'une derni��re charge. Leurs fusils, crass��s �� force de tirer, ne partaient plus, mais les soldats ��taient form��s sur six rangs, la ba?onnette au nez des chevaux,
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