Clotilde Martory | Page 5

Hector Malot
famille; et je me mis �� la recherche de Marius B��darrides, le fr��re de la mari��e, pour qu'il me renseignat; puisque cette jeune fille ��tait invit��e chez lui, il devait la conna?tre.
Mais Marius B��darrides, peu sensible au plaisir de la danse, ��tait au jeu. Il me fallut le trouver; il me fallut ensuite le d��tacher de sa partie, ce qui fut long et difficile, car il avait la veine, et nous rev?nmes dans la tente juste au moment o�� la jeune fille sortait.
--Je ne la connais pas, me dit B��darrides, mais la dame qu'elle accompagne est, il me semble, la femme d'un employ�� de la mairie. C'est une invitation de mon beau-fr��re. Par lui nous en saurons plus demain; mais il vous faut attendre jusqu'�� demain, car nous ne pouvons pas d��cemment, ce soir, aller interroger un jeune mari��; il a autre chose �� faire qu'�� nous r��pondre. Vous lui parleriez de votre jeune fille, que, s'il vous r��pondait, il vous parlerait de ma soeur; ?a ferait un quiproquo impossible �� d��brouiller. Attendez donc �� demain soir; j'esp��re qu'il me sera possible de vous satisfaire; comptez sur moi.
Il fallut s'en tenir �� cela; c'��tait peu; mais enfin c'��tait quelque chose.

III
Je quittai le bal; je n'avais rien �� y faire, puisqu'elle n'��tait plus l��.
Je m'en revins �� pied �� Marseille, bien que la distance soit assez grande. J'avais besoin de marcher, de respirer. J'��touffais. La nuit ��tait splendide, douce et lumineuse, sans un souffle d'air qui fit r��sonner le feuillage des grands roseaux immobiles et raides sur le bord des canaux d'irrigation. De temps en temps, suivant les accidents du terrain et les ��chapp��es de vue, j'apercevais au loin la mer qui, comme un immense miroir argent��, r��fl��chissait la lune.
Je marchais vite; je m'arr��tais; je me remettais en route machinalement, sans trop savoir ce que je faisais. Je n'��tais pas cependant insensible �� ce qui se passait autour de moi, et en ��crivant ces lignes, il me semble respirer encore l'apre parfum qui s'exhalait des pin��des que je traversais. Les ombres que les arbres projetaient sur la route blanche me paraissaient avoir quelque chose de fantastique qui me troublait; l'air qui m'enveloppait me semblait habit��, et des plantes, des arbres, des blocs de rochers sortaient des voix ��tranges qui me parlaient un langage myst��rieux. Une pomme de pin qui se d��tacha d'une branche et tomba sur le sol, me souleva comme si j'avais re?u une d��charge ��lectrique.
Que se passait-il donc en moi? Je tachai de m'interroger. Est-ce que j'aimais cette jeune fille que je ne connaissais pas, et que je ne devais peut-��tre revoir jamais?
Quelle folie! c'��tait impossible.
Mais alors pourquoi cette inqui��tude vague, ce trouble, cette ��motion, cette chaleur; pourquoi cette sensibilit�� nerveuse? Assur��ment, je n'��tais pas dans un ��tat normal.
Elle ��tait charmante, cela ��tait incontestable, ravissante, adorable. Mais ce n'��tait pas la premi��re femme adorable que je voyais sans l'avoir ador��e.
Et puis enfin on n'adore pas ainsi une femme pour l'avoir vue dix minutes et avoir fait quelques tours de valse avec elle. Ce serait absurde, ce serait monstrueux. On aime une femme pour les qualit��s, les s��ductions qui, les unes apr��s les autres, se r��v��lent en elle dans une fr��quentation plus ou moins longue. S'il en ��tait autrement, l'homme serait �� classer au m��me rang que l'animal; l'amour ne serait rien de plus que le d��sir.
Pendant assez longtemps, je me r��p��tai toutes ces v��rit��s pour me persuader que ma jeune fille m'avait seulement paru charmante, et que le sentiment qu'elle m'avait inspir�� ��tait un simple sentiment d'admiration, sans rien de plus.
Mais quand on est de bonne foi avec soi-m��me, on ne se persuade pas par des v��rit��s de tradition; la conviction monte du coeur aux l��vres et ne descend pas des l��vres au coeur. Or, il y avait dans mon coeur un trouble, une chaleur, une ��motion, une joie qui ne me permettaient pas de me tromper.
Alors, par je ne sais quel encha?nement d'id��es, j'en vins �� me rappeler une sc��ne du Rom��o et Juliette de Shakspeare qui projeta dans mon esprit une lueur ��blouissante.
Rom��o masqu�� s'est introduit chez le vieux Capulet qui donne une f��te. Il a vu Juliette pendant dix minutes et il a ��chang�� quelques paroles avec elle. Il part, car la f��te touchait �� sa fin lorsqu'il est entr��. Alors Juliette, s'adressant �� sa nourrice, lui dit: ?Quel est ce gentilhomme qui n'a pas voulu danser? va demander son nom; s'il est mari��, mon cercueil pourrait bien ��tre mon lit nuptial.?
Ils se sont �� peine vus et ils s'aiment, l'amour comme une flamme les a envahis tous deux en m��me temps et embras��s. Et Shakspeare humain et vrai ne disposait pas ses fictions, comme nos romanciers, pour le seul effet pittoresque. Quelle curieuse ressemblance entre cette situation qu'il a invent��e et la mienne! c'est aussi
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