tournant vers
son état-major: «Maintenant, agissons,» dit-il.
Les habitants se rassemblaient, examinaient et devisaient.
Le docteur eut vite arrêté son plan de campagne:
--Lieutenant Picart, vous allez vous avancer sous les fenêtres de cette
mairie et sommer M. de Varnetot, au nom de la République, de me
remettre la maison de ville.
Mais le lieutenant, un maître-maçon, refusa:
--Vous êtes encore un malin, vous. Pour me faire flanquer un coup de
fusil, merci. Ils tirent bien ceux qui sont là-dedans, vous savez. Faites
vos commissions vous-même.
Le commandant devint rouge.
--Je vous ordonne d'y aller au nom de la discipline.
Le lieutenant se révolta:
--Plus souvent que je me ferai casser la figure sans savoir pourquoi.
Les notables, rassemblés en un groupe voisin, se mirent à rire. Un d'eux
cria:
--T'as raison, Picart, c'est pas l'moment!
Le docteur, alors, murmura:
--Lâches!
Et, déposant son sabre et son revolver aux mains d'un soldat, il s'avança
d'un pas lent, l'oeil fixé sur les fenêtres, s'attendant à en voir sortir un
canon de fusil braqué sur lui.
Comme il n'était qu'à quelques pas du bâtiment, les portes des deux
extrémités donnant entrée dans les deux écoles s'ouvrirent, et un flot de
petits êtres, garçons par ci, filles par là, s'en échappèrent et se mirent à
jouer sur la grande place vide, piaillant, comme un troupeau d'oies,
autour du docteur, qui ne pouvait se faire entendre.
Aussitôt les derniers élèves sortis, les deux portes s'étaient refermées.
Le gros des marmots enfin se dispersa, et le commandant appela d'une
voix forte:
--Monsieur de Varnetot?
Une fenêtre du premier étage s'ouvrit. M. de Varnetot parut. Le
commandant reprit:
--Monsieur, vous savez les grands événements qui viennent de changer
la face du gouvernement. Celui que vous représentiez n'est plus. Celui
que je représente monte au pouvoir. En ces circonstances douloureuses,
mais décisives, je viens vous demander, au nom de la nouvelle
République, de remettre en mes mains les fonctions dont vous avez été
investi par le précédent pouvoir.
M. de Varnetot répondit:
--Monsieur le docteur, je suis maire de Canneville, nommé par
l'autorité compétente, et je resterai maire de Canneville tant que je
n'aurai pas été révoqué et remplacé par un arrêté de mes supérieurs.
Maire, je suis chez moi dans la mairie, et j'y reste. Au surplus, essayez
de m'en faire sortir.
Et il referma la fenêtre.
Le commandant retourna vers sa troupe. Mais, avant de s'expliquer,
toisant du haut en bas le lieutenant Picart.
--Vous êtes un crâne, vous, un fameux lapin, la honte de l'armée. Je
vous casse de votre grade.
Le lieutenant répondit:
--Je m'en fiche un peu.
Et il alla se mêler au groupe murmurant des habitants.
Alors le docteur hésita. Que faire? Donner l'assaut? Mais ses hommes
marcheraient-ils? Et puis, en avait-il le droit?
Une idée l'illumina. Il courut au télégraphe dont le bureau faisait face à
la mairie, de l'autre côté de la place. Et il expédia trois dépêches:
A MM. les membres du gouvernement républicain, à Paris;
A M. le nouveau préfet républicain de la Seine-Inférieure, à Rouen;
A M. le nouveau sous-préfet républicain de Dieppe.
Il exposait la situation, disait le danger couru par la commune
demeurée aux mains de l'ancien maire monarchiste, offrait ses services
dévoués, demandait des ordres et signait en faisant suivre son nom de
tous ses titres.
Puis il revint vers son corps d'armée et, tirant dix francs de sa poche:
«Tenez, mes amis, allez manger et boire un coup; laissez seulement ici
un détachement de dix hommes pour que personne ne sorte de la
mairie.»
Mais l'ex-lieutenant Picart, qui causait avec l'horloger, entendit; il se
mit à ricaner et prononça: «Pardi, s'ils sortent, ce sera une occasion
d'entrer. Sans ça, je ne vous vois pas encore là-dedans, moi!»
Le docteur ne répondit pas, et il alla déjeuner.
Dans l'après-midi, il disposa des postes tout autour de la commune,
comme si elle était menacée d'une surprise.
Il passa plusieurs fois devant les portes de la maison de ville et de
l'église sans rien remarquer de suspect; on aurait cru vides ces deux
bâtiments.
Le boucher, le boulanger et le pharmacien rouvrirent leurs boutiques.
On jasait beaucoup dans les logis. Si l'Empereur était prisonnier, il y
avait quelque traîtrise là-dessous. On ne savait pas au juste laquelle des
républiques était revenue.
La nuit tomba.
Vers neuf heures, le docteur s'approcha seul, sans bruit, de l'entrée du
bâtiment communal, persuadé que son adversaire était parti se coucher;
et, comme il se disposait à enfoncer la porte à coups de pioche, une
voix forte, celle d'un garde, demanda tout à coup:
--Qui va là?
Et M. Massarel battit en retraite à toutes jambes.
Le jour se leva sans que rien fût changé dans la situation.
La milice en armes occupait la place. Tous les habitants s'étaient réunis
autour de cette troupe,

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