Claire de Lune | Page 8

Guy de Maupassant
chaque nuit qui suivait la battue, l'animal, comme pour se venger, attaquait quelque voyageur ou d��vorait quelque b��tail, toujours loin du lieu o�� on l'avait cherch��.
Une nuit enfin, il p��n��tra dans l'��table aux porcs du chateau d'Arville et mangea les deux plus beaux ��l��ves.
Les deux fr��res furent enflamm��s de col��re, consid��rant cette attaque comme une bravade du monstre, une injure directe, un d��fi. Ils prirent tous leurs forts limiers habitu��s �� poursuivre les b��tes redoutables, et ils se mirent en chasse, le coeur soulev�� de fureur.
Depuis l'aurore jusqu'�� l'heure o�� le soleil empourpr�� descendit derri��re les grands arbres nus, ils battirent les fourr��s sans rien trouver.
Tous deux enfin, furieux et d��sol��s, revenaient au pas de leurs chevaux par une all��e bord��e de broussailles, et s'��tonnaient de leur science d��jou��e par ce loup, saisis soudain d'une sorte de crainte myst��rieuse.
L'a?n�� disait:
--Cette b��te-l�� n'est point ordinaire. On dirait qu'elle pense comme un homme.
Le cadet r��pondit:
--On devrait peut-��tre faire b��nir une balle par notre cousin l'��v��que, ou prier quelque pr��tre de prononcer les paroles qu'il faut.
Puis ils se turent.
Jean reprit:
--Regarde le soleil s'il est rouge. Le grand loup va faire quelque malheur cette nuit.
Il n'avait point fini de parler que son cheval se cabra; celui de Fran?ois se mit �� ruer. Un large buisson couvert de feuilles mortes s'ouvrit devant eux, et une b��te colossale, toute grise, surgit, qui d��tala �� travers le bois.
Tous deux pouss��rent une sorte de grognement de joie, et, se courbant sur l'encolure de leurs pesants chevaux, ils les jet��rent en avant d'une pouss��e de tout leur corps, les lan?ant d'une telle allure, les excitant, les entra?nant, les affolant de la voix, du geste et de l'��peron, que les forts cavaliers semblaient porter les lourdes b��tes entre leurs cuisses et les enlever comme s'ils s'envolaient.
Ils allaient ainsi, ventre �� terre, crevant les fourr��s, coupant les ravins, grimpant les c?tes, d��valant dans les gorges, et sonnant du cor �� pleins poumons pour attirer leurs gens et leurs chiens.
Et voil�� que soudain, dans cette course ��perdue, mon a?eul heurta du front une branche ��norme qui lui fendit le crane; et il tomba raide mort sur le sol, tandis que son cheval affol�� s'emportait, disparaissait dans l'ombre enveloppant les bois.
Le cadet d'Arville s'arr��ta net, sauta par terre, saisit dans ses bras son fr��re, et il vit que la cervelle coulait de la plaie avec le sang.
Alors il s'assit aupr��s du corps, posa sur ses genoux la t��te d��figur��e et rouge et il attendit en contemplant cette face immobile de l'a?n��. Peu �� peu une peur l'envahissait, une peur singuli��re qu'il n'avait jamais sentie encore, la peur de l'ombre, la peur de la solitude, la peur du bois d��sert et la peur aussi du loup fantastique qui venait de tuer son fr��re pour se venger d'eux.
Les t��n��bres s'��paississaient, le froid aigu faisait craquer les arbres. Fran?ois se leva, frissonnant, incapable de rester l�� plus longtemps, se sentant presque d��faillir. On n'entendait plus rien, ni la voix des chiens ni le son des cors, tout ��tait muet par l'invisible horizon; et ce silence morne du soir glac�� avait quelque chose d'effrayant et d'��trange.
Il saisit dans ses mains de colosse le grand corps de Jean, le dressa et le coucha en travers sur sa selle pour le reporter au chateau; puis il se remit en marche doucement, l'esprit troubl�� comme s'il ��tait gris, poursuivi par des images horribles et surprenantes.
Et, brusquement, dans le sentier qu'envahissait la nuit, une grande forme passa. C'��tait la b��te. Une secousse d'��pouvante agita le chasseur; quelque chose de froid, comme une goutte d'eau, lui glissa le long des reins, et il f?t, ainsi qu'un moine hant�� du diable, un grand signe de croix, ��perdu �� ce retour brusque de l'effrayant r?deur. Mais ses yeux retomb��rent sur le corps inerte couch�� devant lui, et soudain, passant brusquement de la crainte �� la col��re, il fr��mit d'une rage d��sordonn��e.
Alors il piqua son cheval et s'��lan?a derri��re le loup.
Il le suivait par les taillis, les ravines et les futaies, traversant des bois qu'il ne reconnaissait plus, l'oeil fix�� sur la tache blanche qui fuyait dans la nuit descendue sur la terre.
Son cheval aussi semblait anim�� d'une force et d'une ardeur inconnues. Il galopait le cou tendu, droit devant lui, heurtant aux arbres, aux rochers, la t��te et les pieds du mort jet��s en travers sur la selle. Les ronces arrachaient les cheveux; le front, battant les troncs ��normes, les ��claboussait de sang; les ��perons d��chiraient des lambeaux d'��corce.
Et, soudain, l'animal et le cavalier sortirent de la for��t et se ru��rent dans un vallon, comme la lune rouge apparaissait au-dessus des monts. Ce vallon ��tait pierreux, ferm�� par des roches ��normes, sans issue possible; et le loup accul�� se retourna.
Fran?ois alors poussa un hurlement de joie que les ��chos r��p��t��rent comme un roulement de
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