Claire de Lune | Page 9

Guy de Maupassant
tonnerre, et il sauta de cheval, son coutelas �� la main.
La b��te h��riss��e, le dos rond, l'attendait; ses yeux luisaient comme deux ��toiles. Mais, avant de livrer bataille, le fort chasseur, empoignant son fr��re, l'assit sur une roche, et, soutenant avec des pierres sa t��te qui n'��tait plus qu'une tache de sang, il lui cria dans les oreilles, comme s'il e?t parl�� �� un sourd: ?Regarde, Jean, regarde ?a!?
Puis il se jeta sur le monstre. Il se sentait fort �� culbuter une montagne, �� broyer des pierres dans ses mains. La b��te le voulut mordre, cherchant �� lui fouiller le ventre; mais il l'avait saisie par le cou, sans m��me se servir de son arme, et il l'��tranglait doucement, ��coutant s'arr��ter les souffles de sa gorge et les battements de son coeur. Et il riait, jouissant ��perdument, serrant de plus en plus sa formidable ��treinte, criant, dans un d��lire de joie: ?Regarde, Jean, regarde!? Toute r��sistance cessa; le corps du loup devint flasque. Il ��tait mort.
Alors Fran?ois, le prenant �� pleins bras, l'emporta, et le vint jeter aux pieds de l'a?n�� en r��p��tant d'une voix attendrie: ?Tiens, tiens, tiens, mon petit Jean, le voil��!?
Puis il repla?a sur sa selle les deux cadavres l'un sur l'autre; et il se remit en route.
Il rentra au chateau, riant et pleurant, comme Gargantua �� la naissance de Pantagruel, poussant des cris de triomphe et tr��pignant d'all��gresse en racontant la mort de l'animal, et g��missant et s'arrachant la barbe en disant celle de son fr��re.
Et souvent, plus tard, quand il reparlait de ce jour, il pronon?ait, les larmes aux yeux: ?Si seulement ce pauvre Jean avait pu me voir ��trangler l'autre, il serait mort content, j'en suis s?r!?
La veuve de mon a?eul inspira �� son fils orphelin l'horreur de la chasse, qui s'est transmise de p��re en fils jusqu'�� moi.
Le marquis d'Arville se tut. Quelqu'un demanda:
--Cette histoire est une l��gende, n'est-ce pas?
Et le conteur r��pondit:
--Je vous jure qu'elle est vraie d'un bout �� l'autre. Alors une femme d��clara d'une petite voix douce:
--C'est ��gal, c'est beau d'avoir des passions pareilles.
* * * * *

L'ENFANT
[Illustration de LE NATUR]
Apr��s avoir longtemps jur�� qu'il ne se marierait jamais, Jacques Bourdill��re avait soudain chang�� d'avis.
Cela ��tait arriv�� brusquement, un ��t��, aux bains de mer.
Un matin, comme il ��tait ��tendu sur le sable, tout occup�� �� regarder les femmes sortir de l'eau, un petit pied l'avait frapp�� par sa gentillesse et sa mignardise. Ayant lev�� les yeux plus haut, toute la personne le s��duisit. De toute cette personne, il ne voyait d'ailleurs que les chevilles et la t��te ��mergeant d'un peignoir de flanelle blanche, clos avec soin. On le disait sensuel et viveur. C'est donc par la seule grace de la forme qu'il fut capt�� d'abord: puis il fut retenu par le charme d'un doux esprit de jeune fille, simple et bon, frais comme les joues et les l��vres.
Pr��sent�� �� la famille, il plut et il devint bient?t fou d'amour. Quand il apercevait Berthe Lannis de loin, sur la longue plage de sable jaune, il fr��missait jusqu'aux cheveux. Pr��s d'elle, il devenait muet, incapable de rien dire et m��me de penser, avec une esp��ce de bouillonnement dans le coeur, de bourdonnement dans l'oreille, d'effarement dans l'esprit. ��tait-ce donc de l'amour, cela?
Il ne le savait pas, n'y comprenait rien, mais demeurait, en tout cas, bien d��cid�� �� faire sa femme de cette enfant.
Les parents h��sit��rent longtemps, retenus par la mauvaise r��putation du jeune homme. Il avait une ma?tresse, disait-on, une vieille ma?tresse, une ancienne et forte liaison, une de ces cha?nes qu'on croit rompues et qui tiennent toujours.
Outre cela, il aimait, pendant des p��riodes plus ou moins longues, toutes les femmes qui passaient �� port��e de ses l��vres. Alors il se rangea, sans consentir m��me �� revoir une seule fois celle avec qui il avait v��cu longtemps. Un ami r��gla la pension de cette femme, assura son existence. Jacques paya, mais ne voulut pas entendre parler d'elle, pr��tendant d��sormais ignorer jusqu'�� son nom. Elle ��crivit des lettres sans qu'il les ouvr?t. Chaque semaine, il reconnaissait l'��criture maladroite de l'abandonn��e; et, chaque semaine, une col��re plus grande lui venait contre elle, et il d��chirait brusquement l'enveloppe et le papier, sans ouvrir, sans lire une ligne, une seule ligne, sachant d'avance les reproches et les plaintes contenues l��-dedans.
Comme on ne croyait gu��re �� sa pers��v��rance, on fit durer l'��preuve tout l'hiver, et c'est seulement au printemps que sa demande fut agr����e.
Le mariage eut lieu �� Paris dans les premiers jours de mai.
Il ��tait d��cid�� qu'ils ne feraient point le classique voyage de noces. Apr��s un petit bal, une sauterie de jeunes cousines qui ne se prolongerait point au del�� de onze heures, pour ne pas ��terniser les fatigues de cette journ��e de c��r��monies, les jeunes ��poux devaient passer leur premi��re nuit commune dans la
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