Choix de Poesies | Page 8

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mouvement romantique français; mais trop indépendant
pour se rallier à une école quelconque, il se contenta bientôt de suivre
son inspiration, sa "Muse." Jeune, beau et assez fortuné, il s'abandonna
aux jouissances et aux facilités de la vie qui lui apporta les
douloureuses déceptions racontées dans les "Nuits" (Nuit de Mai, Nuit
de Décembre, 1835; Nuit d'Août, 1836; Nuit d'Octobre, 1837). A part
ses poésies, dont beaucoup, telles que les _Stances à la Malibran,
l'Espoir en Dieu, le Saule, Souvenir_, sont justement célèbres, Musset
écrivit des _pièces de théàtre_ en prose et en vers, des _Contes et
Nouvelles_, et une autobiographie: _Confession d'un enfant du siècle_.
LA NUIT DE MAI.
(Fragment).

Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du
soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage

En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et
partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En
secouant leurs becs sur leurs goîtres hideux.
Lui, gagnant à pas lents
une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur
mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa
poitrine ouverte
En vain il a des mers fouillé la profondeur:

L'Océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte
son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à
ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa
douleur.
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin
de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et
d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de
mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le
laissent vivant.
Alors, il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se
frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si
funèbre adieu
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que
le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se
recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils
laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains
qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.

Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et
d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le
coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées:
Elles tracent dans
l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelques gouttes
de sang.
LA CHANSON DE FORTUNIO.

Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais pour
un empire
Vous la nommer.
Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et

qu'elle est blonde
Comme les blés.
Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis s'il lui faut
ma vie,
La lui donner.
Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme
déchirée
Jusqu'à mourir.
Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir
pour ma mie
Sans la nommer.
IMPROMPTU.
(En réponse à cette question: Qu'est-ce que la poésie?)
Chasser tout souvenir et fixer la pensée,
Sur un bel axe d'or la tenir
balancée,
Incertaine, inquiète, immobile pourtant;
Eterniser
peut-être un rêve d'un instant;
Aimer le vrai, le beau, chercher leur
harmonie;
Ecouter dans son coeur l'écho de son génie;
Chanter, rire,
pleurer, seul, sans but, au hasard;
D'un sourire, d'un mot, d'un soupir,
d'un regard
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,

Faire une perle d'une larme;
Du poète ici-bas voilà la passion,
Voilà
son bien, sa vie et son ambition.
THÉOPHILE GAUTIER.
(1811-1872)
Théophile Gautier, né à Tarbes (Hautes-Pyrénées), vint de bonne heure
à Paris, où il étudia la peinture tout en fréquentant la jeunesse littéraire
et artistique de son temps. Il fut un des promoteurs du mouvement
romantique dont il a raconté l'histoire, et il garda toujours une
prédilection pour les auteurs indépendants et les novateurs. Il est
remarquable par la couleur, le relief et le fini de sa poésie; ses
principales oeuvres en vers sont ses "_Poésies_" publiées en 1845, et
ses _Emaux et Camées_ publiés en 1858. Il a également écrit un roman,:

"le Capitaine Fracasse," et de nombreuses critiques.
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS.
Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,

Mars qui rit malgré les averses,
Prépare en secret le beau tempe.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement, lorsque tout dort,
Il
repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec
une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit se repose;
Lui, descend au jardin désert
Et lace les
boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,

Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa
main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,

Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis lorsque sa besogne est faite
Et que son règne va finir,
Au seuil
d'avril tournant la tête,
Il dit:
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