Choix de Poesies | Page 7

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Dame nature,
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je
n'ai ploint de talent, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à moi,
l'on m'ignore ici-bas;
Autant vaudrait n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie


Arrive une troupe d'enfants.
Aussitôt les voilà courants
Après ce
papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets,
servent à l'attraper.
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le
corps:
Un troisième survient et le prend par la tête.
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! Oh!
dit le grillon, je ne suis plus fâché:
Il en coûte trop cher pour briller
dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde!
Pour vivre heureux vivons caché.
ALFRED DE VIGNY.
(1799-1863)
Alfred de Vigny, qui appartenait à une famille de bonne noblesse, fut
officier jusqu'en 1830; mais, fait plutôt pour la vie contemplative que
pour la vie active, il donna sa démission et se consacra aux lettres en
philosophe et en penseur.
Dans "_Grandeur et Servitude Militaires_" (1835) il montre sous un
nouvel aspect la vie de devoir et de renoncement du soldat. Son drame
"_Chatterton_" met en scène les souffrances du poète incompris aux
prises avec les amoindrissantes réalités de l'existence. Dans ses
_Poèmes antiques et modernes_, Vigny exhale son pessismisme, qui ne
manque pas de noblesse lorsqu'il prêche, comme dans la "Mort du
Loup," une stoïque résignation.
LA MORT DU LOUP.
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on
voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous
marchions, sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse
et dans les hautes brandes,
Lorsque sous des sapins pareils à ceux des
Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups

voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre
haleine
Et le pas suspendu. Ni le bois ni la plaine
Ne poussaient un
soupir dans les airs; seulement
La girouette en deuil criait au
firmament;
Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
N'effleurait
de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en bas, contre les
rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des
chasseurs qui s'était mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant;
bientôt,
Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas
que ces marques récentes
Annonçaient la démarche et les griffes
puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et
les lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les
branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,

J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au-delà
quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des
bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était
semblable et semblable la danse;
Mais les enfants du Loup se jouaient
en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se
couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et
plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre

Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les
demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux
jambes dressées,
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.

Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses
chemins pris,
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le
plus hardi la gorge pantelante,
Et n'a pas desserré ses mâchoires de
fer,

Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair,
Et nos
couteaux aigus qui comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant
dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien
étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup
le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au

flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné de son sang;

Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore,
ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands
yeux, meurt sans jeter un cri.
Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom
d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes!

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le
savez, sublimes animaux.
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on
laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
--Ah! je
tai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé
jusqu'au coeur.
Il disait: "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A
force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque
fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir,
pleurer, prier, est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et
lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,
Puis, après,
comme moi, souffre et meurs sans parler."
ALFRED DE MUSSET.
(1810-1857)
Alfred de Musset, né et élevé à Paris, fut parmi les jeunes auteurs qui
créèrent le
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