Choix de Poesies | Page 6

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guérison commune,
L'histoire nous apprend
qu'en de tels accidents
On vit de pareils dévoûments.
Ne nous flattons donc point; voyons
sans indulgence
L'état de notre conscience
Pour moi, satisfaisant mes appétits
gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? nulle offense;

Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévoûrai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est
bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon
toute justice,
Que le plus coupable périsse."
--"Sire, dit le renard, vous êtes trop
bon roi.
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien!
manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non.
Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur;
Et quant au berger, l'on peut
dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les
animaux
Se font un chimérique empire."
Ainsi dit le renard; et flatteurs
d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres
puissances,

Les moins pardonnables offenses;
Tous les gens querelleurs,
jusqu'aux simples mâtins
Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L'âne vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et,
je pense,
Quelque diable aussi, me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de
ma langue;
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
A ces
mots, on cria haro sur le baudet.
Un loup, quelque peu clerc, prouva
par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce
galeux, d'où venait tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas
pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait. On le lui fit bien
voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour
vous rendront blanc ou noir.
(Livre VII. Fable I.).
LES DEUX PIGEONS.
Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre:
L'un d'eux, s'ennuyant au
logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.

L'autre lui dit: "Qu'allez-vous faire?
Voulez-vous quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux:
Non pas pour vous, cruel!
Au moins que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.

Encor, si la saison s'avançait davantage.
Attendez les zéphirs: qui
vous presse? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque
oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que faucons, que
réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut:

Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon souper, bon gîte et le reste?

Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur:
Mais le
désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit: "Ne
pleurez point;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite:
Je
reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;
Je le désennuîrai. Quiconque ne voit
guère,
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai: J'étais là; telle chose
m'advint:
Vous y croirez être vous-même."
A ces mots, en pleurant ils se dirent
adieu.
Le voyageur s'éloigne: et voilà qu'un nuage
L'oblige de
chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que
l'orage,
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu
serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps
chargé de pluie;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit
un pigeon auprès: cela lui donne envie;
I y vole, il est pris: ce blé
couvrait d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.
Le lacs était usé; si bien que, de son
aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin:
Quelque
plume y périt; et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour, à la serre
cruelle,
Vit notre malheureux, qui traînant la ficelle
Et les morceaux
du lacs qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s'en allait le lier, quand des
nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita
du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiraient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du
coup tua plus d'à moitié

La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant
l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte, et demi-boîteuse,
Droit au logis
s'en retourna:
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure
fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de
plaisirs ils payèrent leurs peines.
(Livre IX. Fable II.)
FLORIAN.
(1755-1794)
Florian publia en 1792 un recueil de _Fables_ qui sont inférieures à
celles de son devancier, La Fontaine, mais çui sont empreintes de
délicatesse et de fraîcheur. Il fut d'abord connu par une traduction de
_Don Quichotte_ et des pastorales en prose dans le goût du temps,
_Galatée, Estelle,_ etc.
Florian fut jeté en prison pendant la Révolution française; il en sortit à
la mort de Robespierre, mais mourut bientôt après du contrecoup de ces
terribles émotions.
LE GRILLON.
Un pauvre petit grillon,
Caché dans l'herbe fleurie,
Regardait un
papillon
Voltigeant dans la prairie.
L'insecte ailé brillait des plus
vives couleurs:
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes:

Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et
le mien.
Sont différents!
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