menton, des oreilles, et du front, de sorte
qu'on l'aurait cru masqué. D'autres avaient de simples lignes de couleurs diverses, qui
leur couraient en zig-zag sur le front, le nez et les joues. Leur cou, le buste et les bras
étaient nus et aussi tatoués de couleurs voyantes, qui représentaient les insignes de leur
tribu et de leurs exploits. Des colliers de grains de porcelaine et de griffes d'ours, de loup
et d'aigle entouraient leur cou et retombaient sur leur poitrine nue. Une peau de daim,
dont le bas était découpé en frange leur enserrait la ceinture, ou reposaient le tomahawk,
ainsi que le couteau à scalper, et descendait jusqu'au genou. La jambe et le pied étaient
couverts d'un bas-de-chausses aussi en peau de daim, dont la couture disparaissait sous
une frange aux longues découpures s'agitant chaque pas. Retenue sur la poitrine par une
courroie, une robe de peau de castor, de vison, de loutre ou de martre, leur tombait des
épaules jusqu'au jarret. Du haut en bas de cette sorte de manteau d'un très-grand prix,
étaient teintes de longues raies, également distantes et larges d'environ deux pouces; on
aurait dit des passementeries. Au bas de la robe les queues de vison, de martre ou de
loutre pendaient en franges soyeuses, tandis que la tête de ses animaux était fixée en haut
pour servir d'une espèce de rebord.
Ces hommes, le chef en tête, marchaient gravement et sans daigner regarder la foule de
curieux qui les suivaient.
--Cap de diou se dit Mornac avec des yeux tout grands de surprise, voici bien de curieux
personnages!
Et se penchant hors de la fenêtre, il apostropha Boisdon, qui parlait avec emphase au
milieu de quelques-uns de ses nouveaux hôtes que l'étrangeté du spectacle avait attirés à
la porte de l'auberge.
--Père Boisdon!
--Monsieur le comte? fit le digne homme, qui leva vers la fenêtre sa figure empourprée
par la bonne chère et le vin.
--Quels sont donc ces drôles?
--C'est une députation d'Iroquois que M. le Gouverneur doit recevoir ce matin.
--Oh! oh! sandiou! ce sont là ces croquemitaines qui font tant de peur aux grands enfants
de la Nouvelle-France!
Puis, à demi-voix:
--Mais à propos du Gouverneur, n'est-il pas temps de lui demander audience afin, d'abord,
de lui remettre des dépêches de la cour, et ensuite de le prier de s'intéresser en ma faveur.
--Monsieur Boisdon! cria-t-il de nouveau.
--Qu'y a-t-il à votre service, monsieur le Comte?
--Pouvez-vous me faire conduire au château Saint-Louis?
--Certainement. Jean, holà! Tu vas guider M. le comte au château.
Le gamin, qui espérait entrer à la suite du gentilhomme et assister ainsi à la réception des
Iroquois, accepta avec enthousiasme.
Mornac sortit les dépêches de sa valise, les mit dans la poche de son pourpoint, reprit son
épée qu'il avait quittée pour se mettre à table, descendit dans la rue et suivit Boisdon fils.
Celui-ci, fier d'escorter un gentilhomme et de se rendre au château, jetait des regards
vainqueurs sur les connaissances de son âge qui flânaient dans la rue et contemplaient
avec envie leur heureux ami Jean Boisdon.
CHAPITRE II
HARANGUES ET PIROUETTES
La résidence des gouverneurs français, appelée Château du Fort ou Saint-Louis, s'élevait
sur les fondations mêmes qui soutiennent encore aujourd'hui la terrasse Durham.
Commencé par Champlain, le château avait été peu à peu agrandi, amélioré, fortifié par
M. de Montmagny et ses successeurs. Dominant la basse-ville et perché sur le bord de la
falaise, cent quatre-vingt pieds au-dessus du fleuve, le donjon formait un grand corps de
logis de deux étages, ayant cent vingt pieds de longueur, aux deux pavillons qui
composaient des avant et arrière-corps.
Sur la façade du bâtiment régnait une longue terrasse, qui surplombait le cap et
communiquait de plein pied avec le rez-de-chaussée.
Un grand mur d'enceinte, flanqué de deux bastions, mais sans aucun fossé, défendait le
château du côté de la ville.
A cette époque, le gouverneur-général était M. de Mésy, vieux militaire et ancien major
de la citadelle de Caen. Son prédécesseur, M. d'Avaugour, ayant été rappelé en France
par suite des démêlés qu'il avait eus avec Mgr. de Laval, au sujet de la traite de
l'eau-de-vie, l'évêque de Québec avait demandé à la cour de choisir lui-même le futur
gouverneur; ce qui lui avait été accordé. Le prélat avait désigné M. de Mésy, l'un de ses
anciens amis. Mais il se repentit bientôt de son choix. Car à peine le nouveau gouverneur
fut-il arrivé à Québec, que la guerre éclata entre l'évêque et lui. L'élection du syndic des
habitants mit le feu de la discorde au sein du Conseil Souverain. La plus grande partie du
Conseil était opposée au principe électif et repoussa trois fois l'élection du syndic. Pour
faire triompher ses idées, certainement plus libérales alors que celles de la majorité
dirigée par l'évêque,
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