crus
un instant à l'abri de la haine implacable de leurs mortels ennemis. Beaucoup furent tués,
la plus grande partie emmenés en captivité. Ceux-là seuls qui purent s'échapper, c'était le
petit nombre, accoururent implorer la pitié des Français et se placer sous la protection
immédiate des canons et des mousquets d'Ononthio, [8] c'est-à-dire sous les murs même
du Château-du-Fort. Ce n'est que vers 1676 que les restes infimes d'une nation, autrefois
si puissante et si fière, enlevèrent leurs wigwams du Fort-des-Hurons pour aller s'établir à
Sainte-Foye, trois ou quatre milles à l'ouest de Québec. Quelques six années plus tard, le
gibier des bois voisins étant épuisé, ils allèrent se fixer à trois lieues de Québec, à la
Vieille-Lorette, où le dernier vrai Huron repose maintenant sous la terre de l'oubli.
[Note 8: Les Sauvages désignaient ainsi les gouverneurs français. Ce nom qui signifiait
grande montagne et qui était la traduction sauvage de celui de Montmagny, s'étendit
ensuite à tous les gouverneurs qui succédèrent celui-là.]
Mornac regardait avec surprise le camp des Sauvages. De légers flocons de fumée
blanche montaient en spirale par le haut des wigwams, dont les pans d'écorce de bouleau
se paraient de peintures bizarres représentant les insignes du maître qui l'habitait. La
plupart des animaux du pays, depuis l'ours et le loup jusqu'à la loutre et le rat-musqué, y
défilaient paisiblement sous les yeux surpris du Français. A la porte des cabanes, les
hommes, à moitié nus, fourbissaient leurs armes, façonnaient des flèches ou repassaient
des peaux d'animaux récemment tués. Plus loin, des jeunes gens s'exerçaient à sauter ou à
lancer des flèches. Ici, les vieilles femmes s'occupaient des apprêts du frugal repas du
matin, tandis que de plus jeunes berçaient un nourrisson dans leurs bras nus en chantant
un air triste et doux. Quelques jeunes filles, attirées par le passage des arrivants, se
tenaient tout près de la palissade qui entourait le fort des Hurons. Leur oeil ardent et noir
brillait entre les pieux de l'enceinte, en se fixant sur le chevalier de Mornac, dont la bonne
mine et la fière moustache faisaient battre bien vite le coeur de plus d'une d'entre elles.
Le galant gentilhomme rêvait déjà la conquête de ces yeux noirs, dont le trait de flamme
transperce, lorsque Boisdon ouvrit à ses hôtes la porte de l'auberge.
Comme le lecteur ne tiens guère aux détails du déjeuner de l'hôtellerie Boisdon, nous le
prierons de nous suivre au second étage de la taverne du Baril-d'Or, où Boisdon avait
conduit le chevalier, dans une chambre dont la fenêtre donnait sur la grande place de
l'église.
Il pouvait être dix heures. Réconforté par un déjeuner substantiel, où le bon vin n'avait
certes pas fait défaut, Mornac se tenait accoudé sur la tablette de la fenêtre ouverte et
regardait au dehors.
Ses yeux, après s'être promenés sur le collège des Jésuites, dont le long mur de façade,
percé d'une double rangée de croisées, descend vers la rue de la Fabrique, erraient sur
l'embouchure de la rivière Saint-Charles; l'espace sur lequel s'élèvent aujourd'hui le
séminaire et l'Université-Laval, ainsi que toutes les maisons comprises entre les remparts,
les rues de la Fabrique et Saint-Jean et l'Hôtel-Dieu, n'existant pas encore à cette époque.
Tout ce vaste terrain, jusqu'à la grève, était encore la propriété des héritiers du sieur
Guillaume Couillard, époux de Guillemette Hébert, fille du premier colon de Québec. M.
Couillard était mort l'année précédente, le 4 mars 1663, et sa veuve demeurait dans
l'unique maison qui s'élevait sur la propriété. [9] Ce n'est que quelques années plus tard
que Mgr de Laval devait acheter ce terrain pour y fonder un séminaire.
[Note 9: Il y a une couple d'années que M. l'abbé Laverdière a trouvé, près de la porte qui
conduit du Grand-Séminaire au jardin, les ruines du mur de fondation de cette maison.]
Il y avait quelque temps que Mornac laissait errer ses regards de la rivière Saint-Charles
au fleuve et du fleuve aux grandes montagnes du Nord qui se coloraient d'une teinte
bleu-rougeâtre sous le soleil de cette matinée d'automne, quand un bruit de voix et un
mouvement inusité appelèrent l'attention de l'étranger sur la grande place.
Une trentaine de personnes, des enfants et des jeunes gens, suivaient un groupe de dix
hommes bizarrement accoutrés, sur lesquels la curiosité du chevalier se concentra.
Leur tête était nue et leurs cheveux, rasés sur le haut du front, étaient relevés sur le crâne
et réunie en une touffe du milieu de laquelle s'échappait une plume d'aigle. Leur visage
dont les pommettes saillantes et le teint cuivré indiquaient les enfants de la race aborigène
de l'Amérique septentrionale, était curieusement bariolé de couleurs éclatantes. L'un avait
le nez point en bleu, l'autre en rouge, on troisième en jaune; un quatrième avait toute la
figure noire comme de la suie, l'exception du
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