le gouverneur suspendit plusieurs membres de leurs fonctions, et
força le procureur-général Bourdon, ainsi que le conseiller Villeraye, à s'embarquer pour
l'Europe.
Quoiqu'on ne puisse approuver l'opportunité de ces mesures, il résulta de tous ces
tiraillements et des scènes violentes qui s'ensuivirent entre le gouverneur et l'évêque, que
si M. de Mésy se montra trop ardent, trop emporté, trop irréfléchi dans ses procédés Mgr
de Laval, de son côté, ne mit peut-être pas assez de soin à se concilier l'esprit altier de son
ex-ami par quelques concessions habiles. D'ailleurs les querelles que le même prélat eut
plus tard avec M. de Frontenac, prouvent que monsieur l'évêque, ainsi qu'on disait alors,
était très-entier dans ses opinions, et que le sang royal qui coulait dans ses veines
s'échauffait fort facilement dès qu'on faisait mine de froisser, tant soit peu, les idées
éminemment autocratiques qu'il tenait de son auguste cousin Louis XIV.
Mornac s'était fait annoncer et venait d'être introduit auprès du gouverneur, qui avait
ordonné de le faire entrer immédiatement en apprenant que le gentilhomme était porteur
de dépêches de la cour.
Après l'avoir salué cordialement et avoir reçu des mains du chevalier le pli scellé des
armes royales, M. de Mésy pria son hôte de s'asseoir.
D'une main dont il s'efforçait en vain de dissimuler l'agitation, M. de Mésy rompit le
cachet du message de Colbert, et se mit à parcourir la lettre d'un regard fiévreux.
Mornac le regardait. Soudain il le vit pâlir, tandis que ses doigts crispés froissaient la
dépêche.
Colbert, au nom du roi, reprochait vertement à M de Mésy ses violences envers l'évêque
et le conseil, et lui annonçait que M. le marquis de Tracy, MM. de Courcelles et Talon
étaient chargés de faire son procès dès leur arrivée à Québec.
Une larme d'indignation glissa sur la joue ridée du vieux soldat. Un éclair enflamma ses
yeux. Il fut près d'éclater. Mais, il se maîtrisa presque aussitôt en se rappelant qu'il n'était
pas seul. Puis, après avoir avalé un sanglot prêt à lui échapper, il poursuivit la lecture de
la dépêche. On lui annonçait le prochain départ du régiment de Carignan pour le Canada,
tout en lui enjoignant de ne faire aucune concession aux Iroquois, vu que les secours de
troupes qu'on allait envoyer à la Nouvelle-France, mettraient bientôt les colons en état de
dompter la fierté des Cinq Cantons.
Enfin Colbert recommandait le chevalier de Mornac à M. Mésy.
Celui-ci, qui avait eu le temps de se remettre un peu, dit au gentilhomme:
--Soyez certain monsieur le chevalier, que je ferai tout en mon pouvoir, pour vous être
utile. Malheureusement, je ne vois guère la possibilité de vous obliger immédiatement.
Revenez dans peu de jours et nous verrons à vous donner quelque chose à faire soit pour
le service du roi, soit dans la traite des pelleteries pour votre propre compte.
Mornac s'inclina et remercia le gouverneur.
--Maintenant, reprit ce dernier, il me faut donner audition à une députation d'iroquois,
dont je n'augure rien de bien satisfaisant. Souhaiteriez-vous d'assister à cette assemblée,
Monsieur de Mornac?
--Je vous serais infiniment obligé de m'y autoriser.
--Veuillez alors venir avec moi.
Le gouverneur, suivi de Mornac, se dirigea vers la grande salle du château. La plupart des
notables de Québec s'y trouvaient déjà réunis lorsque MM. de Mésy et Mornac y
entrèrent.
C'était d'abord le supérieur des jésuites (l'évêque avait refusé de s'y rendre), les
conseillers, l'épée au côté, comme leur charge leur en donnait le droit, puis le
procureur-général Denis-Joseph Ruette, sieur d'Auteuil, MM. Le Vieux de Hauteville,
lieutenant général de la maréchaussée, Louis Péronne de Mazé, capitaine de la garnison
du fort de Québec, le conseiller, Aubert de la Chenaye, commis général, Charles Le
Gardeur de Tilly, J.-Bte, Le Gardeur de Repentigny, Claude Petiot des Corbières,
chirurgien, Blaise de Tracolla, médecin, et bien d'autres dont les noms m'échappent. [10]
[Note 10: Pour constater la précision de ces détails qu'on feuillette le «Dictionnaire
généalogique» de M. Tanguay. Ce précieux ouvrage m'a été d'une grande utilité. On a
remarqué, sans doute, que l'intendant ne figure point parmi ces personnages; c'est que M.
Robert, conseiller d'état, le premier qui ait été nommé intendant de justice, de police, de
finance et de marine pour la Nouvelle-France, ne vint jamais au Canada. M. Talon, qui
arriva à Québec en 1665, est le premier qui ait exercé cet emploi dans la
Nouvelle-France.]
Comme la députation Iroquoise ne s'était pas encore fait annoncer, M de Mésy présenta le
chevalier de Mornac à l'élite de la société québecquoise, réunie au château. On fit le plus
bienveillant accueil au jeune homme, que Ruette d'Auteuil invita même à aller passer la
soirée chez lui en compagnie de quelques amis qu'il devait réunir.
Mornac accepta avec joie, se montra sensible à tous ces bons procédés, et commençait à
répondre au
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