salua respectueusement et
lui dit qu'il était flatté d'avoir l'honneur d'héberger un gentilhomme.
--Qui sait, après tout, s'était dit l'hôtelier, cette valise peut être remplie d'argent, et notre
hôte payer libéralement.
Quelques personnes prirent place à côté du chevalier, les autres dans les deux chaloupes
du vaisseau, et ces embarcations se dirigèrent, force de rames, vers l'endroit de la
basse-ville où s'élevait encore le magasin construit par Champlain.
Sur le rivage plusieurs gens attendaient les arrivants. Car c'étaient des compatriotes, des
amis, des parents peut-être, qu'ils allaient recevoir. Et n'aurait-on pas aussi de récentes
nouvelles de France, du bon pays des aïeux dont on conservait si douce souvenance, où
les pères dormaient leur dernier sommeil et que les enfants ne reverraient probablement
jamais.
Des acclamations des cris de joie et de reconnaissance, accueillirent les nouveaux venus.
Mornac ne connaissait personne et s'empressait de débarquer avec sa valise, lorsque
l'aubergiste héla certain gamin de douze ans, qui, la tignasse ébouriffée, le nez au vent et
les mains dans les poches, regardait chacun d'un air effrontément inquisiteur.
--Jean! cria l'hôtelier, arrive ici, petiot, et monte, à la maison le porte-manteau de
monsieur.
C'était le fils aîné de Jacques Boisdon, messire Jean dont nous avons raconté, dans
François de Bienville, les mésaventures si bien méritées.
Jean s'approcha et fit mine de s'emparer de la valise du Gascon.
Celui-ci s'écria:
L'enfant va s'éreinter!
--Oh! non, monsieur, repartit l'affreux gamin: ça ne pèse pas le diable, vos bagages, allez!
Et d'un tour de main, il enleva la valise qu'il mit sur son épaule gauche.
--Mordiou! Maroufle! s'écria le Gascon, prétends-tu te moquer de moi? C'est que je te
couperais la langue, vois-tu?
--Ne lui coupez rien, monsieur le marquis! s'écria Boisdon. Quoiqu'il n'y paraisse pas,
voyez-vous, mon Jeannot est robuste et aime montrer sa force.
--A la bonne heure; sandis! répondit Mornac.
--Veuillez me suivre, messieurs, dit Boisdon à ses hôtes, qui prirent avec lui le chemin de
la haute-ville, et s'engagèrent dans la rue Sous-le-Fort.
Boisdon fils les suivait par derrière et murmurait entre ses dents, en faisant sauter sur ses
épaules le léger porte-manteau du Gascon.
--C'est égal, tout de même, ça ne pèse pas beaucoup et ça sonne creux. Mais il faudra dire
le contraire pour que monsieur me donne des sous.
On voit que le satané garçon avait déjà la passion du gain bien développée.
Mornac gravissait lestement la rude montée du fort à la haute-ville. Le poing droit campé
sur sa hanche, la main gauche arrêtée sur la garde de son épée, la grande plume rouge de
son large feutre frissonnant sous le vent du matin, il s'en allait la tête haute avec un
sourire dédaigneux aux lèvres, et contemplait les quelques maisons sombres et
d'apparence plus que modeste qui se dressaient çà et là sur son passage.
Il eut pourtant un serrement de coeur lorsqu'il longea le cimetière qui se trouvait alors
occuper cette langue de terre qui descend de l'édifice du Parlement vers la côte et où l'on
voit encore des pieux de palissade noircis par la pluie et le temps. Quelques petites croix
de bois, plantées sur de légers renflements de terrain, rappelaient aux passants que tous,
tôt ou tard, doivent aller dormir dans un semblable lit de terre et de gazon jusqu'au grand
réveil du jour éternel.
--Est-ce donc ici que je dois laisser mes os? se dit le chevalier. Bah! qu'importe, après
tout. Et, sandis! ce ne serait pas encore trop malheureux que de mourir de ma belle mort;
car on dit que dans ce pays, il est plus rare d'expirer dans son lit que sous le fer et le feu
des Sauvages.
Pour chasser ces funèbres pensées, il détourna la tête à gauche et regarda les hautes
murailles du château St. Louis, qui se dressent fièrement sur le sommet de la falaise.
Comme il arrivait au point culminant de la côte, ses yeux s'arrêtèrent sur le terrain, vaste
alors, où s'élèvent aujourd'hui le bureau de poste et le bloc de maisons qui s'étendent en
face.
Une trentaine de cabanes d'écorce, faites en forme de cône, s'offraient aux regards ébahis
de l'étranger. C'était le «Fort-des-Hurons».
Ces wigwams servaient d'abri aux quelques infortunés descendants de la grande nation
huronne, qui, naguère encore régnait en souveraine sur les immenses forêts du Canada.
Décimés, presque anéantis par les Iroquois, qui de 1648 à 1650, avaient porté le massacre
et ils destruction dans les bourgades de Saint-Joseph, de Saint-Ignace, de Saint-Louis et
de Saint-Jean, les malheureux Hurons avaient dit adieu aux bords du beau lac qui sera
seul garder leur nom, et s'en étaient venus chercher un refuge aux environs de Québec. Il
y avait à peine quelques années qu'ils respiraient en paix dans l'île d'Orléans, lorsque le
tomahawk Iroquois s'en vint les relancer dans un endroit oh les malheureux s'étaient
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