Cheri | Page 7

Sidonie-Gabrielle Colette
am��ricaine lui donnait pour jouer des poign��es de louis et l'appelait "petite chef-d'?uvre". Vers le m��me temps, Mme Peloux donna �� son fils un abb�� pr��cepteur qu'elle remercia au bout de dix mois "parce que", avoua-t-elle, "cette robe noire que je voyais partout tra?ner dans la maison, ?a me faisait comme si j'avais recueilli une parente pauvre--et Dieu sait qu'il n'y a rien de plus attristant qu'une parente pauvre chez soi!"
A quatorze ans, Ch��ri tata du coll��ge. Il n'y croyait pas. Il d��fiait toute ge?le et s'��chappa. Non seulement Mme Peloux trouva l'��nergie de l'incarc��rer �� nouveau, mais encore, devant les pleurs et les injures de son fils, elle s'enfuit, les mains sur les oreilles, en criant : "Je ne veux pas voir ?a! Je ne veux pas voir ?a!" Cri si sinc��re qu'en effet elle s'��loigna de Paris, accompagn��e d'un homme jeune mais peu scrupuleux pour revenir deux ans plus tard, seule. Ce fut sa derni��re faiblesse amoureuse.
Elle retrouva Ch��ri grandi trop vite, creux, les yeux fard��s de cerne, portant des complets d'entra?neur et parlant plus gras que jamais. Elle se frappa les seins et arracha Ch��ri �� l'internat. Il cessa tout �� fait de travailler, voulut chevaux, voitures, bijoux, exigea des mensualit��s rondes et, au moment que sa m��re se frappa les seins en poussant des appels de paonne, il l'arr��ta par ses mots :
"Mame Peloux, ne vous bilez pas. Ma m��re v��n��r��e, s'il n'y a que moi pour te mettre sur la paille, tu risques fort de mourir bien au chaud sous ton couvre-pied am��ricain. Je n'ai pas de go?t pour le conseil judiciaire. Ta galette, c'est la mienne. Laisse-moi faire. Les amis, ?a se rationne avec des d?ners et du champagne. Quant �� ces dames, vous ne voudriez pourtant pas, Mame Peloux, que fait comme vous m'avez fait, je d��passe avec elles l'hommage du bibelot artistique,--et encore!"
Il pirouetta, tandis qu'elle versait de douces larmes et se proclamait la plus heureuse des m��res. Quand Ch��ri commen?a d'acheter des automobiles, elle trembla de nouveau, mais il lui recommanda : "L'oeil �� l'essence, s'il vous pla?t, Mame Peloux!" et vendit ses chevaux. Il ne d��daignait pas d'��plucher les livres des deux chauffeurs; il calculait vite, juste, et les chiffres qu'il jetait sur le papier juraient, ��lanc��s, renfl��s, agiles, avec sa grosse ��criture assez lente.
Il passa dix-sept ans, en tournant au petit vieux, au rentier tatillon. Toujours beau, mais maigre, le souffle raccourci. Plus d'une fois Mme Peloux le rencontra dans l'escalier de la cave, d'o�� il revenait de compter les bouteilles dans les casiers.
"Crois-tu! disait Mme Peloux �� L��a, c'est trop beau!
--Beaucoup trop, r��pondait L��a, ?a finira mal. Ch��ri, montre ta langue?"
Il la tirait avec une grimace irr��v��rencieuse; et d'autres vilaines mani��res qui ne choquaient point L��a, amie trop famili��re, sorte de marraine-gateau qu'il tutoyait.
"C'est vrai, interrogeait L��a, qu'on t'a vu au bar avec la vieille Lili, cette nuit, assis sur ses genoux?
--Ses genoux! gouaillait Ch��ri. Y a longtemps qu'elle n'en a plus, de genoux! Ils sont noy��s.
--C'est vrai, insistait L��a plus s��v��re, qu'elle t'a fait boire du gin au poivre? Tu sais que ?a fait sentir mauvais de la bouche?"
Un jour Ch��ri, bless��, avait r��pondu �� l'enqu��te de L��a :
"Je ne sais pas pourquoi tu me demandes tout ?a, tu as bien d? voir ce que je faisais, puisque tu y ��tais, dans le petit cagibi du fond, avec Patron le boxeur!
--C'est parfaitement exact, r��pondit L��a impassible. Il n'a rien du petit claqu��, Patron, tu sais? Il a d'autres s��ductions qu'une petite gueule de quatre sous et des yeux au beurre noir."
Cette semaine-l��, Ch��ri fit grand bruit la nuit �� Montmartre et aux Halles, avec des dames qui l'appelaient "ma gosse" et "mon vice", mais il n'avait le feu nulle part, il souffrait de migraines et toussait de la gorge. Et Mme Peloux, qui confiait �� sa masseuse, �� Mme Ribot, sa corseti��re, �� la vieille Lili, �� Berthellemy-le-Dess��ch��, ses angoisses nouvelles : "Ah! pour nous autres m��res, quel calvaire, la vie!" passa avec aisance de l'��tat de plus-heureuse-des- m��res �� celui de m��re- martyre.
* * * * *
Un soir de juin, qui rassemblait sous la serre de Neuilly Mme Peloux, L��a et Ch��ri, changea les destins du jeune homme et de la femme m?re. Le hasard dispersant pour un soir les "amis" de Ch��ri,--un petit liquoriste en gros, le fils Boster, et le vicomte Desmond, parasite �� peine majeur, exigeant et d��daigneux,--ramenait Ch��ri �� la maison maternelle o�� l'habitude conduisait aussi L��a.
Vingt ann��es, un pass�� fait de ternes soir��es semblables, le manque de relations, cette d��fiance aussi, et cette veulerie qui isolent vers la fin de leur vie les femmes qui n'ont aim�� que d'amour, tenaient l'une devant l'autre, encore un soir, en attendant un autre soir, ces deux femmes, l'une �� l'autre suspectes. Elles regardaient toutes
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