Cheri | Page 3

Sidonie-Gabrielle Colette
sait bien" disait L��a, "qu'un corps de bonne qualit�� dure longtemps." Elle pouvait le montrer encore, ce grand corps blanc teint�� de ros��, dot�� des longues jambes, du dos plat qu'on voit aux nymphes des fontaines d'Italie; la fesse �� fossette, le sein haut suspendu pouvaient tenir, disait L��a, "jusque bien apr��s le mariage de Ch��ri".
Elle se leva, s'enveloppa d'un saut-de-lit et ouvrit elle-m��me les rideaux. Le soleil de midi entra dans la chambre rose, gaie, trop par��e et d'un luxe qui datait, dentelles doubles aux fen��tres, faille feuille- de-rose aux murs, bois dor��s, lumi��res ��lectriques voil��es de rose et de blanc, et meubles anciens tendus de soies modernes. L��a ne renon?ait pas �� cette chambre douillette ni �� son lit, chef-d'oeuvre consid��rable, indestructible, de cuivre, d'acier forg��, s��v��re �� l'oeil et cruel aux tibias.
"Mais non, mais non, protestait la m��re de Ch��ri, ce n'est pas si laid que cela. Je l'aime, moi, cette chambre. C'est une ��poque, ?a a son chic. ?a fait Pa?va."
L��a souriait �� ce souvenir de la "Harpie nationale" tout en relevant ses cheveux ��pars. Elle se poudra hativement le visage en entendant deux portes claquer et le choc d'un pied chauss�� contre un meuble d��licat. Ch��ri revenait en pantalon et chemise, sans faux col, les oreilles blanches de talc et l'humeur agressive.
"O�� est mon ��pingle? bo?te de malheur! On barbote les bijoux �� pr��sent?
--C'est Marcel qui l'a mise �� sa cravate pour aller faire le march��", dit L��a gravement.
Ch��ri, d��nu�� d'humour, butait sur la plaisanterie comme une fourmi sur un morceau de charbon. Il arr��ta sa promenade mena?ante et ne trouva �� r��pondre que :
"C'est charmant!... et mes bottines?
--Lesquelles?
--De daim!"
L��a, assise �� sa coiffeuse, leva des yeux trop doux :
"Je ne te le fais pas dire, insinua-t-elle d'une voix caressante.
--Le jour o�� une femme m'aimera pour mon intelligence, je serai bien fichu, riposta Ch��ri. En attendant, je veux mon ��pingle et mes bottines.
--Pourquoi faire? On ne met pas d'��pingle avec un veston, et tu es d��j�� chauss��."
Ch��ri frappa du pied.
"J'en ai assez, personne ne s'occupe de moi, ici! J'en ai assez!"
L��a posa son peigne.
"Eh bien! va-t'en."
Il haussa les ��paules, grossier :
"On dit ?a!
--Va-t'en. J'ai toujours eu horreur des invit��s qui b��chent la cuisine et qui collent le fromage �� la cr��me contre les glaces. Va chez ta sainte m��re, mon enfant, et restes-y."
Il ne soutint pas le regard de L��a, baissa les yeux, protesta en ��colier :
"Enfin, quoi, je ne peux rien dire? Au moins, tu me pr��tes l'auto pour aller �� Neuilly?
--Non.
--Parce que?
--Parce que je sors �� deux heures et que Philibert d��jeune.
--O�� vas-tu, �� deux heures?
--Remplir mes devoir religieux. Mais si tu veux trois francs pour un taxi?... Imb��cile, reprit-elle doucement, je vais peut-��tre prendre le caf�� chez Madame M��re, �� deux heures. Tu n'es pas content?"
Il secouait le front comme un petit b��lier.
"On me bourre, on me refuse tout, on me cache mes affaires, on me....
--Tu ne sauras donc jamais t'habiller tout seul?"
Elle prit des mains de Ch��ri le faux col qu'elle boutonna, la cravate qu'elle noua.
"L��!... Oh! cette cravate violette.... Au fait, c'est bien bon pour la belle Marie-Laure et sa famille.... Et tu voulais encore une perle, l��- dessus? Petit rasta.... Pourquoi pas des pendants d'oreilles?..."
Il se laissait faire, b��at, mou, vacillant, repris d'une paresse et d'un plaisir qui lui fermaient les yeux....
"Nounoune ch��rie... " murmura-t-il.
Elle lui brossa les oreilles, rectifia la raie, fine et bleuatre, qui divisait les cheveux noirs de Ch��ri, lui toucha les tempes d'un doigt mouill�� de parfum et baisa rapidement, parce qu'elle ne put s'en d��fendre, la bouche tentante qui respirait si pr��s d'elle. Ch��ri ouvrit les yeux, les l��vres, tendit les mains.... Elle l'��carta :
"Non! une heure moins le quart! File et que je ne te revoie plus!
--Jamais?
--Jamais!" lui jeta-t-elle en riant avec une tendresse emport��e.
Seule, elle sourit orgueilleusement, fit un soupir saccad�� de convoitise mat��e, et ��couta les pas de Ch��ri dans la cour de l'h?tel. Elle le vit ouvrir et refermer la grille, s'��loigner de son pas ail��, tout de suite salu�� par l'extase de trois trottins qui marchaient bras sur bras :
"Ah! maman!... c'est pas possible, il est en toc!... On demande �� toucher?"
Mais Ch��ri, blas��, ne se retourna m��me pas.
"Mon bain, Rose! La manucure peut s'en aller; il est trop tard. Le costume tailleur bleu, le nouveau, le chapeau bleu, celui qui est doubl�� de blanc, et les petits souliers �� pattes... non, attends...."
L��a, les jambes crois��es, tata sa cheville nue et hocha la t��te :
"Non, les bottines lac��es en chevreau bleu. J'ai les jambes un peu enfl��es aujourd'hui. C'est la chaleur."
La femme de chambre, ag��e, coiff��e de tulle, leva sur L��a un regard entendu :
"C'est... c'est la chaleur", r��p��ta-t-elle docilement, en haussant les ��paules, comme pour dire : "Nous savons.... Il faut bien que tout s'use...."
Ch��ri parti, L��a redevint
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