entre Washington et Bonaparte, elle est plus comique
que grandiose...
Il nous dit fièrement: «Je n'étais pas ému... Visage d'homme ne me
troublera jamais.» Allons, tant mieux. Une petite servante l'introduit.
Washington est de grande taille, «d'un air calme et froid plutôt que
noble». Le jeune chevalier de Chateaubriand lui explique tant bien que
mal le motif de son voyage. «Il m'écoutait avec une sorte
d'étonnement.» (Vous verrez qu'il y avait de quoi.) «Je m'en aperçus, et
je lui dis avec un peu de vivacité: Mais il est moins difficile de
découvrir le passage du nord-ouest que de créer un peuple comme vous
l'avez fait.--Well, well, young man! Bien, bien, jeune homme!
s'écria-t-il en me tendant la main.»
Qu'est-ce que le chevalier avait donc raconté à Washington? Et que
voulait-il au juste? Voici (et c'est le fameux plan arrêté avec M. de
Malesherbes, qui, à ce qu'il me semble, «en avait de bonnes»): «Je
voulais, dit-il, marcher à l'ouest» (en partant de Baltimore) «de manière
à intersecter la côte nord-ouest au-dessus du golfe de Californie»
(c'est-à-dire traverser l'Amérique du Nord dans sa plus grande largeur,
et la plupart des grands lacs et les montagnes Rocheuses), «de là,
suivant le profil du continent, et toujours en vue de la mer, je prétendais
reconnaître le détroit de Behring, doubler le dernier cap septentrional
de l'Amérique, descendre à l'est le long des rivages de la mer Polaire et
rentrer dans les États-Unis par la baie d'Hudson, le Labrador et le
Canada.»
C'est effrayant! Voilà ce qu'il avait rêvé de faire, il y a cent vingt ans,
les mains dans ses poches. Comme il le dit avec une drôlerie qu'il ne
paraît pas soupçonner: «Quels moyens avais-je d'exécuter cette
prodigieuse entreprise? Aucun.» Il en prend d'ailleurs très vite son parti:
«J'entrevis que le but de ce premier voyage serait manqué... et, en
attendant l'avenir, je promis à la poésie ce qui serait perdu pour la
science.» Et alors au lieu de ce qu'il devait faire, voici ce qu'il fait
(assure-t-il).
De Philadelphie, une diligence le conduit à New-York. Puis il va en
bateau, sur l'Hudson, jusqu'à Albany. Là, il engage un Hollandais qui
parle plusieurs dialectes indiens, et, par des régions encore sauvages,
mais non complètement inhabitées, il se dirige vers le Niagara.
Il entre dans la forêt vierge. Il y rencontre un hangar où un petit
Français, M. Violet, ancien marmiton au service du général
Rochambeau, apprenait à danser à une vingtaine d'Iroquois. Il achète
des Indiens un habillement en peau d'ours; il y ajoute la calotte de drap
rouge à côtes, la casaque, la ceinture, la corne pour rappeler les chiens,
la bandoulière des coureurs de bois. «Mes cheveux flottaient sur mon
cou découvert; je portais la barbe longue; j'avais du sauvage, du
chasseur et du missionnaire. On m'invita à une partie de chasse qui
devait avoir lieu le lendemain pour dépister un carcajou.» Il est
parfaitement heureux.
Il arrive au lac des Onondagas. Il rend visite au sachem, qui parle
anglais et entend le français. Il suit une route tracée par des abattis
d'arbres; il est reçu dans des fermes de colons, où il y a des meubles
d'acajou, un piano, des tapis, des glaces, et où les filles de la maison
chantent du Paisiello ou du Cimarosa.
Il atteint le Niagara. En voulant descendre dans le lit de la cataracte, il
tombe sur une saillie de rocher, où il se casse le bras gauche,
raconte-t-il. Il demeure douze jours chez de bons Indiens. Puis, son
Hollandais le quitte. Alors il «s'associe à des trafiquants qui partaient
pour descendre l'Ohio». Avant de partir, il «jette, dit-il, un coup d'oeil
sur les lacs du Canada». (Un coup d'oeil, qu'entend-il par là? Les lacs
du Canada ne sont pas des mares).
Il arrive à Pittsbourg, au confluent de Kentucky et de l'Ohio. Tout de
suite après, il nous décrit le confluent de l'Ohio et du Mississipi. Mais
une nouvelle compagnie de trafiquants, venant de chez les Creeks dans
les Florides, lui permet de la suivre. «Nous nous acheminâmes vers les
pays connus sous le nom général des Florides.» Cela, par terre, en
«suivant des sentiers». Mais aussitôt, sans qu'on sache comment, il se
retrouve sur l'Ohio. Il aborde avec ses trafiquants une île située dans un
des lacs que l'Ohio traverse. Il s'y amuse une journée avec deux jeunes
Floridiennes, «issues d'un sang mêlé de Chiroki et de Castillan».
Son itinéraire devient de plus en plus vague. «Je me hâtai de quitter le
désert... Nous repassâmes les montagnes Bleues... J'avisai au bord d'un
ruisseau une maison américaine, ferme à l'un de ses pignons, moulin à
l'autre. J'entrai demander le vivre et le couvert, et fus bien reçu.» C'est
tout. Où ce ruisseau? Où cette maison américaine? Nous ne savons pas.
J'ai envie de dire:--Lui non
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