Chateaubriand | Page 8

Jules Lemaitre
de la place insult��e, culbutaient leurs brillants ennemis. Mais bient?t les bandes ��parses revenaient �� la charge, faisaient plier �� leur tour les assi��g��s, et la brave mais lente garnison rentrait �� reculons pour se r��parer dans la forteresse.
Ou bien:
De toutes les parties de la for��t, les chauves-souris accroch��es aux feuilles ��l��vent leur chant monotone: on croirait ou?r un glas continu.
Ou encore:
Les canards branchus, les linottes bleues, les cardinaux, les chardonnerets pourpres brillent dans la verdure des arbres; l'oiseau whet-shaw imite le bruit de la scie, l'oiseau-chat miaule, et les perroquets qui apprennent quelques mots autour des maisons les r��p��tent dans les bois.
D��j��, pourtant, certaines inventions verbales et certaines harmonies pr��sagent, semble-t-il, le Chateaubriand futur:
Minuit. Le feu commence �� s'��teindre, le cercle de sa lumi��re se r��tr��cit. J'��coute: un calme formidable p��se sur ces for��ts; on dirait que des silences succ��dent �� des silences. Je cherche vainement �� entendre dans un tombeau universel quelque bruit qui d��c��le la vie. D'o�� vient ce soupir? D'un de mes compagnons: il se plaint, bien qu'il sommeille. Tu vis, donc tu souffres: voil�� l'homme.
Ce n'est pas mal, pour un gar?on de vingt-deux ans. Mais peut-��tre a-t-il un peu arrang�� cela pour l'��dition de 1827. Avec lui, on ne sait jamais.
Nous l'avons laiss�� au moment o�� il s'embarquait, pour le Havre. Il nous dit que ce d��part soudain fut le r��sultat d'un d��bat de conscience, qu'il lui parut que c'��tait pour lui un devoir de revenir au secours du roi, ?quoique les Bourbons n'eussent pas besoin d'un cadet de Bretagne?. Mais, un peu plus loin, �� l'heure de rejoindre l'arm��e des princes, il pr��voit toutes les objections qu'on peut lui faire et s'appr��te �� les r��futer, fort pos��ment et du ton d'un homme qui ne se fait point d'illusions. Cela ne lui apparaissait donc pas, en tout cas, comme un devoir si imp��rieux. Je crois que, tout simplement, il en avait assez de l'Am��rique, comme peut-��tre, lorsqu'il ��tait parti pour l'Am��rique, il en avait assez de la France. C'��tait une ame invinciblement inqui��te.
Un peu avant d'aborder �� Saint-Malo, il est assailli par une terrible et fort belle temp��te, qui accro?t son magasin de sensations et d'images.
Puis il s'en va �� Saint-Malo et se marie.
Pourquoi? pourquoi? pourquoi? C'est affreusement simple. Il s'est aper?u qu'il n'avait pas assez d'argent pour rejoindre les princes. ?On me maria, dit-il, afin de me procurer le moyen de m'aller faire tuer pour une cause que je n'aimais pas.? Il ��pouse une orpheline, mademoiselle C��leste Buisson de la Vigne, ?blanche, d��licate, mince et fort jolie?, qu'il avait aper?ue trois ou quatre fois, et dont ?on estimait la fortune de cinq �� six cent mille francs?. C'��tait donc un mariage riche. Mais il se trouva que la fortune de sa femme ��tait en rentes sur le clerg��: ?La nation se chargea de les payer �� sa fa?on...? Il faudra emprunter; un notaire lui procurera dix mille francs. Au moment de partir, il les jouera, et les perdra, sauf quinze cents francs. C'est avec ces quinze cents francs qu'il partira pour l'arm��e des princes. Ce n'��tait pas la peine de prendre femme pour cela... Il faut dire que c'est sa soeur Lucile qui l'a voulu marier. Peut-��tre verrons-nous plus tard les raisons qu'elle en avait.
�� peine mari��, il quitte sa jeune femme. Il l'oubliera totalement pendant douze ans. Avant son d��part, il revoit �� Paris M. de Malesherbes et lui soumet ses scrupules sur l'��migration. Car, dit-il, ?mon peu de go?t pour la monarchie absolue ne me laissait aucune illusion sur le parti que je prenais.? M. de Malesherbes r��pond �� ses objections. ?Il me cita des exemples embarrassants. Il me pr��senta les Guelfes et les Gibelins s'appuyant des troupes de l'empereur ou du pape; en Angleterre les barons se soulevant contre Jean sans Terre; enfin, de nos jours, il citait la r��publique des ��tats-Unis implorant le secours de la France.? Mais Chateaubriand nous donne ensuite le vrai mobile de son acte: ?Je ne c��dai r��ellement qu'au mouvement de mon age, au point d'honneur.? Deux d��crets ayant d��j�� frapp�� les ��migr��s, ?c'��tait dans ces rangs d��j�� proscrits, dit-il, que j'accourais me placer... La menace du plus fort me fait toujours passer du c?t�� du plus faible?. L��, il ne ment pas. L'orgueil, l'impossibilit�� de ?subir?, l'impossibilit�� d'��tre longtemps avec la masse, le besoin d'��tre seul ou avec le petit nombre... ce sera toujours sa vraie, sa seule vertu.
Il sort de Paris le 15 juillet 1792 avec son fr��re le comte de Chateaubriand. Ils avaient deux passeports pour Lille. Ils passent par Tournay, par Bruxelles, ?quartier g��n��ral de la haute ��migration?, o�� ?les femmes les plus ��l��gantes de Paris et les hommes les plus �� la mode, ceux qui ne pouvaient marcher que comme aides de camp, attendaient dans les plaisirs les moments de la
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