avoir visité Marseille, Nîmes, Montpellier, Toulouse et
Bordeaux, il arriva en Bretagne le 27 novembre. Comme nous l'avons
dit, il ne resta qu'un jour auprès de sa femme et de ses soeurs.
Dans cette courte entrevue dont il serait si intéressant de connaître les
détails, il fut convenu, c'est lui qui nous l'apprend, que Madame de
Chateaubriand le rejoindrait à Rome.
Cependant, six mois plus tard, le 25 mai 1803, au moment de partir
pour sa destination, il écrit au père de Chênedollé: «Une personne doit
venir me rejoindre dans six semaines ou deux mois en Italie. Si vous y
consentez, Chênedollé viendra me rejoindre à Rome avec la personne
que j'attends.» Le 8 juin suivant, il écrit à Chênedollé dans le même
sens: «Je crois que vous pouvez faire vos préparatifs pour accompagner
nos amis cet automne», c'est-à-dire pour les amener à Rome.
Quels étaient ces amis? Quelle était cette personne? Ce n'était
évidemment pas Madame de Chateaubriand, car il l'aurait nommée.
N'était-ce pas plutôt Madame de Beaumont? Ce voyage de Rome
était-il déjà prémédité entre elle et lui, à l'insu de tous leurs amis? Un
passage des Mémoires d'outre-tombe donne beaucoup de vraisemblance
à cette hypothèse: «La fille de M. de Montmorin (Madame de
Beaumont), dit Chateaubriand, se mourait; le climat d'Italie lui serait;
disait-on, favorable; moi allant à Rome, elle se résoudrait à passer les
Alpes. Je me sacrifiai à l'espoir de la sauver.»
Mais la personne à laquelle les lettres à Chênedollé font allusion
pourrait être aussi Madame de Custine, à qui Chateaubriand écrivait
précisément à la même époque: «Promettez-moi de venir à Rome.»
Ainsi Chateaubriand, avec une légèreté difficile à justifier, convoquait
simultanément trois personnes à le suivre dans la Ville éternelle:
Madame de Chateaubriand, Madame de Beaumont et Madame de
Custine. Faut-il s'étonner que, tombé par ses propres fautes dans
d'inextricables difficultés, il ait, à cette époque, écrit à Fontanes ces
lignes équivoques: «Voilà où m'ont conduit des chagrins domestiques.
La crainte de me réunir à ma femme m'a jeté une seconde fois hors de
ma patrie. Les plus courtes sottises sont les meilleures. Je compte sur
votre amitié pour me tirer de ce bourbier!» Etait-ce bien à lui qu'il
appartenait d'alléguer ses chagrins domestiques?
En définitive, c'est Madame de Beaumont qui fit le voyage de Rome.
Madame de Custine en fut outrée; nous verrons plus loin comment elle
en témoigna son humeur. Quant à Madame de Chateaubriand, elle avait
l'âme trop fière pour aller disputer la place à ces deux rivales: elle ne
partit pas.
Les années de bonheur passent vite, et malgré toute sa force d'âme,
Madame de Beaumont, pour qui Ruthières avait composé cette devise
caractéristique: «Un souffle m'agite, rien ne m'abat,» voyait sa santé
dépérir; on ne traverse pas impunément les épreuves de la Terreur; le
massacre de son père le Comte de Montmorin et de presque toute sa
famille lui avait porté à elle-même un coup fatal.
Aussitôt que Chateaubriand l'eut quittée pour se rendre à Rome, comme
secrétaire d'ambassade auprès du Cardinal Fesch, Madame de
Beaumont quitta Paris pour aller demander aux eaux du Mont-Dore le
rétablissement de sa santé. Elle était déjà mortellement atteinte. «Je suis,
écrivait-elle à un ami, dans un état de faiblesse qui m'ôte presque la
force de désirer et de craindre. Je prends les eaux depuis trois jours. Je
tousse moins, mais il me semble que c'est pour mourir sans bruit, tant je
souffre d'ailleurs, tant je suis anéantie. Il vaudrait autant être morte.»
CHAPITRE II.
Départ pour Rome.--Mort de Madame de Beaumont.--Madame de
Custine: ses premiers billets.--Madame de Chateaubriand à Paris.--La
rue de Miromesnil et la Butte-aux-Lapins.--Les Martyrs.--La première
communion d'Astolphe.
À ce moment même, Madame de Beaumont se préparait à exécuter son
projet, que combattirent tous ses amis, de se rendre à Rome et d'y
rejoindre Chateaubriand, malgré les obstacles résultant de sa santé,
malgré l'imprudence, au point de vue des convenances, d'une pareille
démarche. Joubert, affectueux et dévoué entre tous, opposa les plus
puissantes raisons à cette fatale détermination; Fontanes, d'un côté, M.
Molé, de l'autre, firent tous leurs efforts pour en prévenir l'exécution.
Rien n'y fit. À mesure que cette femme mourante allait dépérissant, il
semblait qu'en elle les facultés de l'âme redoublaient de puissance avec
l'exaltation d'un amour éperdu et qui n'avait plus rien de la terre.
«Je serai à Lyon du 15 au 20 septembre, écrivait-elle à Chênedollé. J'y
resterai le temps nécessaire pour arranger mon voyage; ce sera l'affaire
de quelques jours.» De Lyon, elle atteignit Milan le 1er octobre; M.
Bertin l'aîné, qui l'y attendait, la conduisit à Florence où Chateaubriand
la rejoignit, et tous trois ils arrivèrent à Rome au commencement du
mois d'octobre.
Cependant l'état de Madame de Beaumont s'aggravait de jour en jour.
«Ceux qui se rappellent encore ou qui se rappelaient, il y
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