se multiplièrent rapidement, et
son auteur, inconnu la veille, devint la célébrité du lendemain.
Cependant les critiques ne manquèrent pas au nouvel ouvrage et à son
auteur que l'amitié passionnée et le dévouement enthousiaste de
Madame de Beaumont soutinrent au milieu de tous les orages.
Il en fut de même pour le Génie du Christianisme qu'il publia l'année
suivante. Madame de Beaumont lui offrit, pendant l'été de 1801,
l'hospitalité dans sa maison de campagne de Savigny. C'est là, sur les
bords de l'Orge, sous les auspices et l'inspiration de cette femme
aimable, dont l'âme était si forte et l'imagination si brillante, que le
Comte de Marcellus la jugeait supérieure même à Lucile; c'est là que le
Génie du Christianisme fut terminé. Madame de Beaumont servait de
secrétaire au poète, lui procurait les livres dont il avait besoin, et
assistait, ravie, à toutes les vibrations de ce style magique qui,
disait-elle, «lui faisait éprouver une espèce de frémissement d'amour, et
jouait du clavecin sur toutes ses fibres».
Bien des années plus tard, Chateaubriand, évoquant le souvenir de ces
jours heureux de Savigny, écrira dans une de ses plus belles pages: «Je
me rappellerai éternellement quelques soirées passées dans cet abri de
l'amitié... La nuit, quand les fenêtres de notre salon champêtre étaient
ouvertes, Madame de Beaumont remarquait diverses constellations, en
me disant que je me rappellerais un jour qu'elle m'avait appris à les
connaître. Depuis que je l'ai perdue, non loin de son tombeau à Rome,
j'ai plusieurs fois, du milieu de la campagne, cherché au firmament les
étoiles qu'elle m'avait nommées; je les ai aperçues brillantes au-dessus
des montagnes de la Sabine. Le lieu où je les ai vues, sur les bois de
Savigny, et les lieux où je les revoyais, la mobilité de mes destinées, ce
signe qu'une femme m'avait laissé dans le ciel pour me souvenir d'elle,
tout cela brisait mon coeur.»
Mais le temps des souvenirs et des regrets n'était pas encore venu.
Après le retour de Savigny à Paris, la société de Madame de Beaumont
se retrouva dans le salon de la rue Neuve-de-Luxembourg.
L'année 1802 fut consacrée, comme la précédente, aux travaux
littéraires, et à la publication du Génie du Christianisme.
C'est à cette époque, vers le milieu du mois d'octobre, que
Chateaubriand entreprit ce voyage de Bretagne dont nous avons parlé.
Le 15 octobre il écrivit à Chênedollé:
Mon cher ami, je pars lundi pour Avignon, où je vais saisir, si je puis,
une contrefaçon (du Génie du Christianisme) qui me ruine; je reviens
par Bordeaux et par la Bretagne. J'irai vous voir à Vire et je vous
ramènerai à Paris où votre présence est absolument nécessaire, si vous
voulez enfin entrer dans la carrière diplomatique... Ne manquez pas
d'écrire rue Neuve-de-Luxembourg (à Madame de Beaumont) pendant
mon absence, mais ne parlez pas de mon retour par la Bretagne. Ne
dites pas que vous m'attendez et que je vais vous chercher. Tout cela ne
doit être su qu'au moment où l'on nous verra. Jusque-là, je suis à
Avignon et je reviens en ligne droite à Paris.
On comprend pourquoi Chateaubriand s'entourait de tant de précautions
et de mystères. Ce voyage de Bretagne, qui devait ramener l'infidèle
époux aux pieds de la femme légitime, allait peut-être opérer leur
rapprochement; Madame de Beaumont, qui ne pouvait se faire à cette
idée, nous dit Chateaubriand, aurait éprouvé de mortelles angoisses si
elle en avait été avertie.
Comme il l'avait annoncée à Chênedollé, il partit de Paris le lundi 18
octobre. Il se rendit directement à Lyon, où il fut reçu, nous disent les
Mémoires d'outre-tombe, par le fils de M. Ballanche, propriétaire, après
Migneret, du Génie du Christianisme, et qui devint son ami. «Qui ne
connaît aujourd'hui, dit-il, le philosophe chrétien dont les écrits brillent
de cette clarté paisible sur laquelle on se plaît à attacher ses regards
comme sur le rayon d'un astre ami dans le ciel.» On ne saurait
caractériser avec plus d'exactitude et de poésie le talent littéraire de
l'auteur d'Antigone.
Peut-être devons-nous à ce voyage de Lyon et aux entretiens de l'auteur
avec ses imprimeurs la quatrième édition du Génie du Christianisme,
en neuf petits volumes in-12, qui parut en 1804. Cette charmante
édition «de l'imprimerie Ballanche père et fils, aux halles de la
Grenette», porte pour épigraphe, qui n'a pas été reproduite dans
l'édition des oeuvres complètes de 1826, cette phrase de Montesquieu:
«Chose admirable! La religion chrétienne qui ne semble avoir d'objet
que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur en celle-ci. Esprit
des Lois, liv. 24, chap. 3[4].»
De Lyon, Chateaubriand passa à Avignon, toujours à la poursuite de
son contrefacteur qu'il finit par déterrer en courant de librairie en
librairie. Après vingt-quatre heures, ennuyé déjà de poursuivre la
fortune, il transigea presque pour rien avec le voleur.
Enfin, après
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