la comtesse
de Marigny, se rendit la première auprès de lui. Puis, Madame de
Chateaubriand vint à son tour: «Elle était charmante, dit Chateaubriand,
et remplie de toutes les qualités propres à me donner le bonheur que j'ai
trouvé auprès d'elle, depuis que nous sommes réunis.» Il est possible
qu'à cette époque, en 1800, les ressources manquassent pour former une
installation.
Mais après la publication d'Atala, en 1801, et surtout après le Génie du
Christianisme, les circonstances avaient dû changer. Pourquoi la
réunion des époux ne se fit-elle pas alors? Ce point est resté obscur;
aucune correspondance, aucun écrit de cette époque ne nous est
parvenu. Mais il ne faut peut-être pas en chercher l'explication
seulement dans les relations très mondaines de Chateaubriand, et
l'influence qu'elles exercèrent sur sa conduite. Pour éclairer, autant qu'il
est possible, cette période, nous dirons seulement que la charmante et
fidèle amie de Madame de Chateaubriand, Lucile, passa à Paris une
partie de l'année 1802, qu'elle était en relation avec Chênedollé, le
confident le plus intime, à cette époque, des secrets de son frère, qu'elle
faisait partie de la société de Madame de Beaumont, qu'entre Paris et
Saint-Malo, elle servait d'intermédiaire et maintenait ainsi un lien
d'intimité entre deux personnes qui lui étaient également chères: son
frère et sa jeune belle-soeur.
M. et Madame de Chateaubriand se virent de nouveau à la fin de 1802,
en Bretagne où Chateaubriand fit un court séjour de vingt-quatre heures.
Il était question, en ce moment, de sa nomination prochaine au poste de
secrétaire d'ambassade à Rome, et l'on comprend qu'il fût pressé de
rentrer à Paris où sa présence était nécessaire. Mais que s'est-il passé
pendant ce séjour, si court fût-il? Aucune lettre, aucun document ne
nous l'apprend. Peut-être pourrait-on suppléer à ce silence au moyen de
traditions de famille qui paraissent exister, mais qui n'ont pas été et ne
seront probablement jamais divulguées. Le champ reste ouvert aux
conjectures[3].
La seule chose qui soit connue, c'est la conclusion de cette entrevue: il
y fut convenu que Madame de Chateaubriand rejoindrait son mari à
Rome. Joubert parlait de l'y accompagner.
Mais, comme nous le verrons, ce projet ne fut pas exécuté. C'est
seulement au printemps de 1804 que M. et Madame de Chateaubriand
se trouvèrent enfin réunis à Paris pour ne se plus quitter.
* * * * *
Il nous faut maintenant retourner sur nos pas et reprendre notre récit un
peu plus haut.
Après les dures années d'émigration qu'il avait passées à Londres dans
la détresse, comme la plupart de ses compagnons d'infortune, et
pendant lesquelles il avait trouvé le moyen de secourir des hommes
encore plus malheureux que lui, Chateaubriand rentra en France,
comme nous l'avons dit, au mois de mai de l'année 1800. Il débarqua à
Calais avec un passeport au nom de Lassagne. Madame Lindsay et son
parent Auguste de Lamoignon l'amenèrent à Paris, et Madame Lindsay
l'installa d'abord dans un petit hôtel des Ternes, voisin de sa demeure.
Fontanes, avec qui il s'était lié à Londres, vint aussitôt l'y chercher,
l'emmena chez lui, rue Saint-Honoré, aux environs de Saint-Roch, le
présenta à Madame de Fontanes, et le conduisit chez son ami Joubert,
qui demeurait près de là dans la même rue. Joubert lui donna, pendant
quelques jours, une hospitalité provisoire. Chateaubriand le quitta
bientôt et, toujours sous le même pseudonyme, loua un entresol dans la
rue de Lille, du côté de la rue des Saints-Pères.
On ne pouvait faire un pas dans ce Paris de la fin du siècle, sans se
heurter aux souvenirs de la Terreur; devant l'émigré rentré de la veille,
ces souvenirs se dressaient tout sanglants à la place de la Révolution,
où son frère et sa belle-soeur, avec tant d'autres illustres victimes,
avaient été immolés. Ces scènes horribles où l'on voyait, comme disait
son concierge de la rue de Lille, «couper la tête à des femmes qui
avaient le cou blanc comme de la chair de poulet,» étaient présentes à
tous les esprits et la populace en regrettait encore l'affreux spectacle.
C'est pendant ces tristes jours que Chateaubriand, sans ressources, à
peu près sans domicile, inconnu de tous, se cachant sous un nom
d'emprunt, en attendant sa radiation de la liste des émigrés, fut présenté
à Madame de Beaumont, dont le salon, rue Neuve-de-Luxembourg, en
face des jardins du Ministère de la Justice, était ouvert, en ce temps de
renaissance sociale, à une société peu nombreuse, mais très choisie et
composée d'hommes politiques, de littérateurs, d'artistes, déjà connus
ou dont le nom était destiné à la célébrité.
Chateaubriand se mit au travail avec ardeur, et bientôt il publia (1801)
le roman d'Atala. Le succès de ce livre, qui ouvrit à la littérature des
voies nouvelles et inaugura le romantisme, est trop connu pour que
nous en retracions l'histoire; les éditions
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