Chateaubriand et Madame de Custine | Page 8

Francois-René de Chateaubriand
sa destination, il écrit au père de Chênedollé: ?Une personne doit venir me rejoindre dans six semaines ou deux mois en Italie. Si vous y consentez, Chênedollé viendra me rejoindre à Rome avec la personne que j'attends.? Le 8 juin suivant, il écrit à Chênedollé dans le même sens: ?Je crois que vous pouvez faire vos préparatifs pour accompagner nos amis cet automne?, c'est-à-dire pour les amener à Rome.
Quels étaient ces amis? Quelle était cette personne? Ce n'était évidemment pas Madame de Chateaubriand, car il l'aurait nommée. N'était-ce pas plut?t Madame de Beaumont? Ce voyage de Rome était-il déjà prémédité entre elle et lui, à l'insu de tous leurs amis? Un passage des Mémoires d'outre-tombe donne beaucoup de vraisemblance à cette hypothèse: ?La fille de M. de Montmorin (Madame de Beaumont), dit Chateaubriand, se mourait; le climat d'Italie lui serait; disait-on, favorable; moi allant à Rome, elle se résoudrait à passer les Alpes. Je me sacrifiai à l'espoir de la sauver.?
Mais la personne à laquelle les lettres à Chênedollé font allusion pourrait être aussi Madame de Custine, à qui Chateaubriand écrivait précisément à la même époque: ?Promettez-moi de venir à Rome.?
Ainsi Chateaubriand, avec une légèreté difficile à justifier, convoquait simultanément trois personnes à le suivre dans la Ville éternelle: Madame de Chateaubriand, Madame de Beaumont et Madame de Custine. Faut-il s'étonner que, tombé par ses propres fautes dans d'inextricables difficultés, il ait, à cette époque, écrit à Fontanes ces lignes équivoques: ?Voilà où m'ont conduit des chagrins domestiques. La crainte de me réunir à ma femme m'a jeté une seconde fois hors de ma patrie. Les plus courtes sottises sont les meilleures. Je compte sur votre amitié pour me tirer de ce bourbier!? Etait-ce bien à lui qu'il appartenait d'alléguer ses chagrins domestiques?
En définitive, c'est Madame de Beaumont qui fit le voyage de Rome. Madame de Custine en fut outrée; nous verrons plus loin comment elle en témoigna son humeur. Quant à Madame de Chateaubriand, elle avait l'ame trop fière pour aller disputer la place à ces deux rivales: elle ne partit pas.
Les années de bonheur passent vite, et malgré toute sa force d'ame, Madame de Beaumont, pour qui Ruthières avait composé cette devise caractéristique: ?Un souffle m'agite, rien ne m'abat,? voyait sa santé dépérir; on ne traverse pas impunément les épreuves de la Terreur; le massacre de son père le Comte de Montmorin et de presque toute sa famille lui avait porté à elle-même un coup fatal.
Aussit?t que Chateaubriand l'eut quittée pour se rendre à Rome, comme secrétaire d'ambassade auprès du Cardinal Fesch, Madame de Beaumont quitta Paris pour aller demander aux eaux du Mont-Dore le rétablissement de sa santé. Elle était déjà mortellement atteinte. ?Je suis, écrivait-elle à un ami, dans un état de faiblesse qui m'?te presque la force de désirer et de craindre. Je prends les eaux depuis trois jours. Je tousse moins, mais il me semble que c'est pour mourir sans bruit, tant je souffre d'ailleurs, tant je suis anéantie. Il vaudrait autant être morte.?

CHAPITRE II.
Départ pour Rome.--Mort de Madame de Beaumont.--Madame de Custine: ses premiers billets.--Madame de Chateaubriand à Paris.--La rue de Miromesnil et la Butte-aux-Lapins.--Les Martyrs.--La première communion d'Astolphe.
à ce moment même, Madame de Beaumont se préparait à exécuter son projet, que combattirent tous ses amis, de se rendre à Rome et d'y rejoindre Chateaubriand, malgré les obstacles résultant de sa santé, malgré l'imprudence, au point de vue des convenances, d'une pareille démarche. Joubert, affectueux et dévoué entre tous, opposa les plus puissantes raisons à cette fatale détermination; Fontanes, d'un c?té, M. Molé, de l'autre, firent tous leurs efforts pour en prévenir l'exécution. Rien n'y fit. à mesure que cette femme mourante allait dépérissant, il semblait qu'en elle les facultés de l'ame redoublaient de puissance avec l'exaltation d'un amour éperdu et qui n'avait plus rien de la terre.
?Je serai à Lyon du 15 au 20 septembre, écrivait-elle à Chênedollé. J'y resterai le temps nécessaire pour arranger mon voyage; ce sera l'affaire de quelques jours.? De Lyon, elle atteignit Milan le 1er octobre; M. Bertin l'a?né, qui l'y attendait, la conduisit à Florence où Chateaubriand la rejoignit, et tous trois ils arrivèrent à Rome au commencement du mois d'octobre.
Cependant l'état de Madame de Beaumont s'aggravait de jour en jour. ?Ceux qui se rappellent encore ou qui se rappelaient, il y a quelques années, Madame de Beaumont, écrivait bien des années plus tard Charles Lenormant, la représentent comme sans beauté, détruite et d'une effrayante maigreur, mais avec une physionomie très touchante, et d'une étonnante supériorité; c'était une lampe à demi éteinte qui jetait ses dernières clartés[5].?
Elle mourut à Rome le 4 novembre 1803. Chateaubriand a consigné dans des pages immortelles le récit de ses derniers moments. Il ressentit une profonde douleur, et pendant toute sa vie le cher souvenir de Madame de Beaumont fut pour
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