Chateaubriand et Madame de Custine | Page 7

Francois-René de Chateaubriand
l'été de 1801, l'hospitalité dans sa maison de campagne de Savigny. C'est là, sur les bords de l'Orge, sous les auspices et l'inspiration de cette femme aimable, dont l'ame était si forte et l'imagination si brillante, que le Comte de Marcellus la jugeait supérieure même à Lucile; c'est là que le Génie du Christianisme fut terminé. Madame de Beaumont servait de secrétaire au poète, lui procurait les livres dont il avait besoin, et assistait, ravie, à toutes les vibrations de ce style magique qui, disait-elle, ?lui faisait éprouver une espèce de frémissement d'amour, et jouait du clavecin sur toutes ses fibres?.
Bien des années plus tard, Chateaubriand, évoquant le souvenir de ces jours heureux de Savigny, écrira dans une de ses plus belles pages: ?Je me rappellerai éternellement quelques soirées passées dans cet abri de l'amitié... La nuit, quand les fenêtres de notre salon champêtre étaient ouvertes, Madame de Beaumont remarquait diverses constellations, en me disant que je me rappellerais un jour qu'elle m'avait appris à les conna?tre. Depuis que je l'ai perdue, non loin de son tombeau à Rome, j'ai plusieurs fois, du milieu de la campagne, cherché au firmament les étoiles qu'elle m'avait nommées; je les ai aper?ues brillantes au-dessus des montagnes de la Sabine. Le lieu où je les ai vues, sur les bois de Savigny, et les lieux où je les revoyais, la mobilité de mes destinées, ce signe qu'une femme m'avait laissé dans le ciel pour me souvenir d'elle, tout cela brisait mon coeur.?
Mais le temps des souvenirs et des regrets n'était pas encore venu. Après le retour de Savigny à Paris, la société de Madame de Beaumont se retrouva dans le salon de la rue Neuve-de-Luxembourg.
L'année 1802 fut consacrée, comme la précédente, aux travaux littéraires, et à la publication du Génie du Christianisme.
C'est à cette époque, vers le milieu du mois d'octobre, que Chateaubriand entreprit ce voyage de Bretagne dont nous avons parlé. Le 15 octobre il écrivit à Chênedollé:
Mon cher ami, je pars lundi pour Avignon, où je vais saisir, si je puis, une contrefa?on (du Génie du Christianisme) qui me ruine; je reviens par Bordeaux et par la Bretagne. J'irai vous voir à Vire et je vous ramènerai à Paris où votre présence est absolument nécessaire, si vous voulez enfin entrer dans la carrière diplomatique... Ne manquez pas d'écrire rue Neuve-de-Luxembourg (à Madame de Beaumont) pendant mon absence, mais ne parlez pas de mon retour par la Bretagne. Ne dites pas que vous m'attendez et que je vais vous chercher. Tout cela ne doit être su qu'au moment où l'on nous verra. Jusque-là, je suis à Avignon et je reviens en ligne droite à Paris.
On comprend pourquoi Chateaubriand s'entourait de tant de précautions et de mystères. Ce voyage de Bretagne, qui devait ramener l'infidèle époux aux pieds de la femme légitime, allait peut-être opérer leur rapprochement; Madame de Beaumont, qui ne pouvait se faire à cette idée, nous dit Chateaubriand, aurait éprouvé de mortelles angoisses si elle en avait été avertie.
Comme il l'avait annoncée à Chênedollé, il partit de Paris le lundi 18 octobre. Il se rendit directement à Lyon, où il fut re?u, nous disent les Mémoires d'outre-tombe, par le fils de M. Ballanche, propriétaire, après Migneret, du Génie du Christianisme, et qui devint son ami. ?Qui ne conna?t aujourd'hui, dit-il, le philosophe chrétien dont les écrits brillent de cette clarté paisible sur laquelle on se pla?t à attacher ses regards comme sur le rayon d'un astre ami dans le ciel.? On ne saurait caractériser avec plus d'exactitude et de poésie le talent littéraire de l'auteur d'Antigone.
Peut-être devons-nous à ce voyage de Lyon et aux entretiens de l'auteur avec ses imprimeurs la quatrième édition du Génie du Christianisme, en neuf petits volumes in-12, qui parut en 1804. Cette charmante édition ?de l'imprimerie Ballanche père et fils, aux halles de la Grenette?, porte pour épigraphe, qui n'a pas été reproduite dans l'édition des oeuvres complètes de 1826, cette phrase de Montesquieu: ?Chose admirable! La religion chrétienne qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur en celle-ci. Esprit des Lois, liv. 24, chap. 3[4].?
De Lyon, Chateaubriand passa à Avignon, toujours à la poursuite de son contrefacteur qu'il finit par déterrer en courant de librairie en librairie. Après vingt-quatre heures, ennuyé déjà de poursuivre la fortune, il transigea presque pour rien avec le voleur.
Enfin, après avoir visité Marseille, N?mes, Montpellier, Toulouse et Bordeaux, il arriva en Bretagne le 27 novembre. Comme nous l'avons dit, il ne resta qu'un jour auprès de sa femme et de ses soeurs.
Dans cette courte entrevue dont il serait si intéressant de conna?tre les détails, il fut convenu, c'est lui qui nous l'apprend, que Madame de Chateaubriand le rejoindrait à Rome.
Cependant, six mois plus tard, le 25 mai 1803, au moment de partir pour
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