Chateaubriand et Madame de Custine | Page 6

Francois-René de Chateaubriand
manquassent pour former une installation.
Mais après la publication d'Atala, en 1801, et surtout après le Génie du Christianisme, les circonstances avaient d? changer. Pourquoi la réunion des époux ne se fit-elle pas alors? Ce point est resté obscur; aucune correspondance, aucun écrit de cette époque ne nous est parvenu. Mais il ne faut peut-être pas en chercher l'explication seulement dans les relations très mondaines de Chateaubriand, et l'influence qu'elles exercèrent sur sa conduite. Pour éclairer, autant qu'il est possible, cette période, nous dirons seulement que la charmante et fidèle amie de Madame de Chateaubriand, Lucile, passa à Paris une partie de l'année 1802, qu'elle était en relation avec Chênedollé, le confident le plus intime, à cette époque, des secrets de son frère, qu'elle faisait partie de la société de Madame de Beaumont, qu'entre Paris et Saint-Malo, elle servait d'intermédiaire et maintenait ainsi un lien d'intimité entre deux personnes qui lui étaient également chères: son frère et sa jeune belle-soeur.
M. et Madame de Chateaubriand se virent de nouveau à la fin de 1802, en Bretagne où Chateaubriand fit un court séjour de vingt-quatre heures. Il était question, en ce moment, de sa nomination prochaine au poste de secrétaire d'ambassade à Rome, et l'on comprend qu'il f?t pressé de rentrer à Paris où sa présence était nécessaire. Mais que s'est-il passé pendant ce séjour, si court f?t-il? Aucune lettre, aucun document ne nous l'apprend. Peut-être pourrait-on suppléer à ce silence au moyen de traditions de famille qui paraissent exister, mais qui n'ont pas été et ne seront probablement jamais divulguées. Le champ reste ouvert aux conjectures[3].
La seule chose qui soit connue, c'est la conclusion de cette entrevue: il y fut convenu que Madame de Chateaubriand rejoindrait son mari à Rome. Joubert parlait de l'y accompagner.
Mais, comme nous le verrons, ce projet ne fut pas exécuté. C'est seulement au printemps de 1804 que M. et Madame de Chateaubriand se trouvèrent enfin réunis à Paris pour ne se plus quitter.
* * * * *
Il nous faut maintenant retourner sur nos pas et reprendre notre récit un peu plus haut.
Après les dures années d'émigration qu'il avait passées à Londres dans la détresse, comme la plupart de ses compagnons d'infortune, et pendant lesquelles il avait trouvé le moyen de secourir des hommes encore plus malheureux que lui, Chateaubriand rentra en France, comme nous l'avons dit, au mois de mai de l'année 1800. Il débarqua à Calais avec un passeport au nom de Lassagne. Madame Lindsay et son parent Auguste de Lamoignon l'amenèrent à Paris, et Madame Lindsay l'installa d'abord dans un petit h?tel des Ternes, voisin de sa demeure. Fontanes, avec qui il s'était lié à Londres, vint aussit?t l'y chercher, l'emmena chez lui, rue Saint-Honoré, aux environs de Saint-Roch, le présenta à Madame de Fontanes, et le conduisit chez son ami Joubert, qui demeurait près de là dans la même rue. Joubert lui donna, pendant quelques jours, une hospitalité provisoire. Chateaubriand le quitta bient?t et, toujours sous le même pseudonyme, loua un entresol dans la rue de Lille, du c?té de la rue des Saints-Pères.
On ne pouvait faire un pas dans ce Paris de la fin du siècle, sans se heurter aux souvenirs de la Terreur; devant l'émigré rentré de la veille, ces souvenirs se dressaient tout sanglants à la place de la Révolution, où son frère et sa belle-soeur, avec tant d'autres illustres victimes, avaient été immolés. Ces scènes horribles où l'on voyait, comme disait son concierge de la rue de Lille, ?couper la tête à des femmes qui avaient le cou blanc comme de la chair de poulet,? étaient présentes à tous les esprits et la populace en regrettait encore l'affreux spectacle.
C'est pendant ces tristes jours que Chateaubriand, sans ressources, à peu près sans domicile, inconnu de tous, se cachant sous un nom d'emprunt, en attendant sa radiation de la liste des émigrés, fut présenté à Madame de Beaumont, dont le salon, rue Neuve-de-Luxembourg, en face des jardins du Ministère de la Justice, était ouvert, en ce temps de renaissance sociale, à une société peu nombreuse, mais très choisie et composée d'hommes politiques, de littérateurs, d'artistes, déjà connus ou dont le nom était destiné à la célébrité.
Chateaubriand se mit au travail avec ardeur, et bient?t il publia (1801) le roman d'Atala. Le succès de ce livre, qui ouvrit à la littérature des voies nouvelles et inaugura le romantisme, est trop connu pour que nous en retracions l'histoire; les éditions se multiplièrent rapidement, et son auteur, inconnu la veille, devint la célébrité du lendemain. Cependant les critiques ne manquèrent pas au nouvel ouvrage et à son auteur que l'amitié passionnée et le dévouement enthousiaste de Madame de Beaumont soutinrent au milieu de tous les orages.
Il en fut de même pour le Génie du Christianisme qu'il publia l'année suivante. Madame de Beaumont lui offrit, pendant
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