Chateaubriand et Madame de Custine | Page 5

Francois-René de Chateaubriand
d'un prêtre, et surprenant les époux de grand matin, il aurait dit à son beau-neveu: ?Vous allez maintenant, Monsieur, épouser tout de bon ma nièce, et sur l'heure.? Ce qui fut fait.?
Dans ce récit, la vulgarité du style rivalise avec la fausseté évidente des faits. Par une grossière mascarade, on fait du prêtre orthodoxe appelé par la famille un domestique de Chateaubriand, qui à cette époque n'avait certainement pas de domestiqués à son service personnel. Quant à ce mariage exigé par l'oncle Buisson, le pistolet au poing, c'est une pure et absurde invention: ce mariage n'aurait pas été plus régulier que le précédent, puisqu'il e?t été clandestin et illégal, et que, de nouveau, il aurait fallu recourir, pour arriver à la légalité, à un troisième mariage, celui du curé constitutionnel. Or, en fait de mariages, il n'y en a eu que deux: celui du prêtre orthodoxe, qui a donné lieu aux poursuites, et celui du curé constitutionnel, célébré publiquement, régulièrement et dont l'acte existe. Le mariage du curé constitutionnel exclut donc nécessairement le prétendu mariage de l'oncle Buisson.
Mais il y a plus: cet oncle Buisson, ?le riche négociant de Lorient?, n'a jamais existé: la famille de Lavigne n'a jamais entendu parler de lui, ni de son voyage à Saint-Malo, ni de ce mariage à main armée.
Dans une visite que nous f?mes à Sainte-Beuve vers la fin de sa vie, nous lui demandames s'il avait quelque document à l'appui du récit de M. Viennet, dont nous lui signalames l'invraisemblance.
?C'est là, nous dit-il, tout ce que j'en sais; Viennet racontait cela, à l'Académie, à qui voulait l'entendre, du vivant même de Chateaubriand. Je mis par écrit son récit, et, pour plus de s?reté, je lui communiquai mon manuscrit en le priant de le corriger si j'avais mal rapporté ses paroles. Il n'y changea que quelques mots. Ce manuscrit, portant les corrections de la main de Viennet, je l'ai encore là, dans ce secrétaire... Je vous le montrerai un autre jour.? L'état de souffrance de Sainte-Beuve ne permettait pas d'insister pour qu'il le montrat immédiatement, et, en définitive, nous ne l'avons jamais vu. Peut-être, le retrouverait-on dans les papiers du célèbre critique. C'est le texte même de cette note manuscrite, nous a dit Sainte-Beuve, qu'il a reproduit dans son livre sur Chateaubriand: cependant, dans son ?Chateaubriand?, Sainte-Beuve ne parle pas de sa note manuscrite, mais il s'autorise de mémoires inédits de Viennet, ce qui n'est pas la même chose. Il y a là une variante que nous ne discuterons pas, mais que nous signalons, sans y attacher plus d'importance qu'il ne faut.
?Vous devriez, ajouta Sainte-Beuve, tirer au clair cette affaire du mariage de Chateaubriand, en le rapprochant de la législation de l'époque et des documents que vous pourriez vous procurer.? C'est ce que nous avons fait, et c'est sur des informations précises, émanant des sources, les plus respectables, que nous avons écrit les lignes qui précèdent.
* * * * *
Marié au mois de mars 1792, Chateaubriand partit de Saint-Malo pour l'émigration, trois mois après, dans le courant de la même année. Toute sa famille approuvait sa détermination. Deux de ses soeurs, Lucile (plus tard Madame de Caux) et Julie (Madame de Farcy), en compagnie de la jeune Madame de Chateaubriand, le conduisirent jusqu'à Paris. Ils descendirent tous quatre à l'h?tel de Villette, impasse Férou, près des Jardins du Séminaire Saint-Sulpice; des chambres y avaient été retenues. Ils y demeurèrent quelque temps, ensemble, et le 15 juillet 1792, Chateaubriand s'achemina vers l'Allemagne où il rejoignit l'armée des princes.
C'est alors que commen?a entre les deux époux une longue séparation de huit ou dix années. La malignité en a fait un chef d'accusation contre Chateaubriand; on lui a reproché, avec une apparence de raison, d'avoir oublié pendant trop longtemps qu'il était marié! Pour les huit premières années, tant que dura l'émigration, l'accusation n'est pas fondée: cette séparation était une conséquence forcée. Chateaubriand émigré passa d'Allemagne en Angleterre et ne rentra en France qu'au printemps de 1800. Jusque-là tout s'explique et se justifie.
Mais pour la période qui suivit, de 1800 à 1804, il ne semble guère possible de trouver une raison suffisante. Pendant ces quatre années, il n'y eut cependant pas de rupture; M. et Madame de Chateaubriand se virent quelquefois, assez rarement, et restèrent, croyons-nous, en correspondance. Mais ils demeurèrent séparés et ne reprirent pas là vie commune.
Au surplus voici les faits.
Immédiatement après son retour de l'émigration, Chateaubriand écrivit à sa famille pour l'informer de son arrivée. Sa soeur a?née, la comtesse de Marigny, se rendit la première auprès de lui. Puis, Madame de Chateaubriand vint à son tour: ?Elle était charmante, dit Chateaubriand, et remplie de toutes les qualités propres à me donner le bonheur que j'ai trouvé auprès d'elle, depuis que nous sommes réunis.? Il est possible qu'à cette époque, en 1800, les ressources
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