Chateaubriand et Madame de Custine | Page 4

Francois-René de Chateaubriand
homme de loi, et par conséquent il ne faudrait pas exiger de lui la précision d'un procureur sur les questions de légalité et de procédure que son mariage a soulevées.
Il y a plusieurs rectifications à faire à son récit.
La famille de Lavigne, contrairement à l'assertion des Mémoires, ne donnait pas son consentement. Cependant on passa outre; il n'y eut pas de publicité, pas de bans publiés; qui les aurait publiés, puisque, au plus fort du schisme introduit dans l'église par la Constituante, les prêtres non assermentés n'avaient plus d'église, qu'ils étaient forcés de fuir ou de se cacher, et qu'ils n'étaient pas plus compétents pour la publication des bans que pour la célébration du mariage même? La bénédiction nuptiale, celle que Chateaubriand appelle la première (il y en eut donc une seconde!), fut donnée sans l'accomplissement d'aucune des formalités prescrites par la loi alors en vigueur[2].
Il ne faut donc pas s'étonner que sur la plainte des parents de Mademoiselle de Lavigne, de M. de Vauvert ou de tout autre, la justice se soit émue et ait commencé contre Chateaubriand une procédure pour rapt, enlèvement de mineure, violation de la loi, comme le disent les Mémoires d'outre-tombe.
Mais les choses en étant venues à ce point, la famille, comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, se désista de son opposition et de sa plainte, et la justice, se prêtant aux circonstances, accorda des délais pour donner le temps de procéder à un mariage régulier et légal.
C'est, en effet, ce qui eut lieu. Dans l'église paroissiale de Saint-Malo, le curé constitutionnel et assermenté, M. Duhamel, après publication de bans, ou avec dispense régulière de publications, célébra publiquement le mariage de Fran?ois-Auguste de Chateaubriand et de Céleste de Lavigne. Acte en fut dressé le jour même, 19 mars 1792, et c'est cet acte qui, au point de vue légal, constitue l'état civil des deux époux.
Le mariage ainsi célébré par le prêtre compétent, le tribunal correctionnel, saisi d'une plainte qui se trouvait désormais sans objet, n'avait plus qu'à prononcer une ordonnance de non-lieu, ou un acquittement. Mais Chateaubriand a eu tort de dire que la cause a été plaidée et que le tribunal a jugé valide, au civil, la bénédiction nuptiale du prêtre insermenté; aucun tribunal n'aurait pu valider un mariage célébré sans publications, sans publicité, par un prêtre incompétent, c'est là une première erreur des Mémoires; c'en est une seconde de prétendre que le curé constitutionnel, grassement payé, ne réclama plus contre la première bénédiction nuptiale: il réclama si bien que, la considérant comme non avenue, il administra la seconde, ainsi que les registres de l'état civil de Saint-Malo en font foi.
Comment expliquer cependant que les Mémoires d'outre-tombe aient donné une version si peu exacte des faits? La réponse est facile: mariés légitimement, mais non légalement, par le prêtre insermenté qu'ils avaient choisi, contraints par des poursuites judiciaires, M. et Madame de Chateaubriand ont d? se soumettre, comme à une formalité imposée, à la bénédiction du prêtre qu'ils considéraient comme schismatique; mais tout en cédant à la nécessité, comme ils l'ont fait, ils n'ont pas moins continué à reconna?tre, dans leur for intérieur, leur première bénédiction nuptiale comme le seul, le vrai lien religieux qui avait formé leur union, et il a répugné sans doute à Chateaubriand de faire l'aveu dans ses Mémoires qu'il ait pu être marié par un prêtre schismatique.
Les mêmes faits, à cette époque, ont d? se produire fréquemment. C'était une conséquence inévitable de cette constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée constituante. Les populations, surtout dans la Bretagne restée fidèle à ses prêtres persécutés, les suivaient hors des villes jusque dans les lieux déserts pour entendre la parole de Dieu et recevoir d'eux les secours de la religion. Que de mariages bénis par eux n'a-t-il pas fallu faire régulariser ensuite pour se mettre en règle avec la loi civile!
Il n'y a donc rien d'étrange, comme on l'a prétendu, dans le mariage de Chateaubriand, et personne, sans doute, ne s'en serait occupé si son collègue à l'Académie fran?aise, M. Viennet, n'avait mis en circulation une historiette que Sainte-Beuve ne pouvait manquer de recueillir et qu'il a reproduite en ces termes:
?M. Viennet, dans ses mémoires (inédits) raconte qu'étant entré au service de la marine vers 1797, il connut à Lorient un riche négociant, M. Lavigne-Buisson, et se lia avec lui. Quand l'auteur d'Atala commen?a à faire du bruit, M. Buisson dit à M. Viennet: ?Je le connais, il a épousé ma nièce, et il l'a épousée de force.? Et il raconta comment M. de Chateaubriand, ayant à contracter union avec Mademoiselle de Lavigne, aurait imaginé de l'épouser comme dans les comédies, d'une fa?on postiche, en se servant d'un de ses gens comme prêtre et d'un autre comme témoin. Ce qu'ayant appris, l'oncle Buisson serait parti, muni d'une paire de pistolets et accompagné
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