Cent-vingt jours de service actif | Page 5

Charles R. Daoust
déplorables arriva à un des hommes de la
compagnie No. 2, nommé Boucher. Cet individu, fatigué sans doute par
la longueur et les misères de la route et découragé de la vie militaire, se
jeta sur le chemin de fer au moment où notre train reculait, mais
perdant tout à coup courage devant la mort cruelle qu'il s'était choisie, il
essaya au dernier moment de se sauver. Il était trop tard. Les roues lui
passèrent sur le pied et le blessèrent douloureusement. Il fut
immédiatement transporté sous la grande tente sur l'ordre du chirurgien
Simard en attendant l'arrivée du chirurgien major.
Cet accident, bien qu'il fût l'acte d'un insensé, jeta la consternation
parmi le camp. C'était; le premier accident sérieux qui arrivait à un
membre du bataillon, et sa nature était loin de compenser la peine que
son état de priorité lui donnait.
Toute la journée se passa à attendre le colonel qui s'était attardé à
Algoma, et la marche forcée qu'on avait faite pendant la nuit devint
inutile. Enfin, vers quatre heures de l'après-midi, on nous servit nos
rations, puis on nous fit monter dans de mauvais chars plates-formes
dont quelques-uns même étaient découverts. On s'installa du mieux que
l'on pût le long des bancs de bois brut en attendant l'heure du coucher.
On nous distribua des couvertes de laine; chaque homme en avait une.
Elles furent bientôt étendues sur le plancher du char et les soldats se
placèrent comme ils purent sous les bancs. On nous donna en même
temps des tuques en laine; il était temps! car notre figure était des plus
comiques avec nos petits képis sur le coin, de l'oreille.
Tout alla assez bien pendant une demi-heure mais bientôt la fraîcheur
des glaçons transperce les couvertes et le sommeil devient impossible.
Plusieurs, Pour ne pas dire tous, se lèvent et passent le reste de la nuit,
collés les uns contre les autres le long des bancs. La nuit était des plus
froides et le vent qui s'engouffrait par les fentes du char rendait la
situation des soldats intolérable. Avec quelle anxiété chacun attendait
en silence le premier village où l'on pourrait enfin descendre!

Enfin à six heures du matin le train arrêta à la Baie du Héron, En moins
de cinq minutes tout le bataillon était descendu en ligne. Pour la
première fois une pauvre ration de rhum fut donnée à chaque homme,
et sans rien exagérer, elle avait été richement gagnée. Bientôt après on
nous servit à déjeuner dans les chantiers du Pacifique. Certains
journaux anglais, entr'autres le News de Toronto, ont rapporté qu'en cet
endroit les soldats avaient dévalisé les magasins de la compagnie et
bien d'autres histoires toutes aussi mensongères et infâmes les unes que
les autres. C'est ici l'endroit de réfuter ces sots rapports et de leur
donner un démenti formel. Jamais un régiment dans de pareilles
circonstances ne s'est aussi bien comporté et c'est même étonnant
qu'aucun des mauvais rapports qui ont été faits n'ait le moindre
fondement de vérité.
Après un copieux déjeuner, le bataillon remonta à bord et l'on continua
dans les mêmes chars jusqu'à Port Munroe, où l'on arriva vers neuf
heures de l'avant midi. Ici, on laissa les chars et la marche à pied
commença. Chaque soldat portait sur lui, outre sa carabine et ses
munitions, toutes les parties de son accoutrement, havresac et autres.
Après une aussi mauvaise nuit, la marche le long de la rive nord du Lac
Supérieur, vingt-cinq milles, faite en moins de dix heures, tient du
prodige.
Peu d'hommes, même de vieux militaires auraient pu résister aussi
bravement à une aussi forte étape, et chose plus étonnante encore, pas
un seul homme ne fut malade. Une seule halte fut faite pendant la
marche, à Little Peak, où l'on fit une distribution de rations, fromage et
"hard tacks." Si la fatigue fut grande, on eut une faible compensation
par le magnifique coup d'oeil présenté par le coucher du soleil sur le lac.
L'astre du jour tomba comme un immense globe d'or dans le rideau,
aux couleurs variées, que lui tendait l'Occident et qui semblait plier
sous la masse qui s'y engouffrait; au fur et à mesure que l'astre
disparaissait à l'horizon, chaque nuage se nuançait d'une façon
grandiose. Que de poëtes auraient fait deux fois la même route pour
contempler un pareil spectacle!
Vers huit heures du soir tout le bataillon était remonté dans: de

nouveaux chars, pires que ceux qu'on venait de laisser. Ceux-ci
n'étaient formés que de plates-formes simples avec une planche chaque
côté pour servir de garde-fou.
Sur ces planches d'autres plus minces étaient posées aussi près que
possible les unes des autres et servaient de sièges aux soldats fatigués.
L'on marcha ainsi tout le reste de la nuit et il était une heure du matin
quand on descendit à Jackfish
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