vestibule et descendait l'escalier.
Au moment où il franchissait la porte cochère, une voiture, avec Joseph
dedans, s'arrêtait devant le trottoir.
--À la gare Saint-Lazare! dit Léon, montant brusquement dans la
voiture, et aussi vite que vous pourrez!
Le cheval, enlevé par un vigoureux coup de fouet, partit au grand trot;
aussitôt Léon voulut reprendre la lecture de la lettre, dont les premières
lignes l'avaient si profondément bouleversé.
Mais la voiture franchit en moins de cinq minutes la distance qui sépare
la rue Royale de la rue Saint-Lazare: quand elle entra dans la cour de la
gare, il n'avait pas encore tourné le premier feuillet; l'horloge allait
sonner neuf heures.
Il était temps: on ferma derrière lui le guichet de distribution des billets.
Ce fut seulement quand il se trouva installé dans son wagon, où il était
seul, qu'il reprit sa lecture, non au point où il l'avait interrompue, mais à
la première ligne:
«Mon cher Léon,
«Ma dépêche télégraphique d'hier, par laquelle je te demandais si tu
serais à Paris libre de toute occupation pendant la fin de la semaine, a
dû te surprendre jusqu'à un certain point.
«En voici l'explication:
«Je vais mourir, et tu es la seule personne au monde, mon cher neveu,
qui puisse assister ma fille, ta cousine; dans cette circonstance, il fallait
donc que je fusse certain qu'aussitôt prévenu tu pourrais accourir près
d'elle.
«Cette certitude, ta réponse me la donne, et, comme d'avance je suis sûr
de ton coeur, je puis maintenant accomplir ma résolution.
«Tu connais ma position, je n'ai pas de fortune. Nés de parents pauvres,
ton père et moi nous n'avons pas eu de patrimoine. Mais tandis que ton
père, jetant un clair regard sur la vie, embrassait la carrière
commerciale au lieu d'être artiste, comme il l'avait tout d'abord souhaité,
j'entrais dans la magistrature. Et, d'autre part, tandis que ton père
épousait une femme riche qui lui apportait des millions, j'en épousais
une qui n'avait pour dot et pour tout avoir qu'une cinquantaine de mille
francs.
«Cette dot avait été placée dans une affaire industrielle; je ne changeai
point ce placement, car il ne me convenait pas de défaire ce qui avait
été fait par mon beau-père, et d'un autre côté j'étais bien aise de tirer de
ces cinquante mille francs un revenu assez gros pour que ma femme et
ma fille n'eussent point trop à souffrir de la médiocrité de mon
traitement de substitut.
«C'est grâce à ce revenu qu'après avoir perdu ma femme au bout de
quatre années de mariage, je pus garder ma fille près de moi, et qu'elle
a été élevée sous mes yeux, sur mon coeur.
«En la mettant dans un pensionnat, j'aurais pu faire de sérieuses
économies, car, lorsqu'on prend, pour instruire un enfant dans la
maison paternelle, les meilleurs professeurs dans chaque branche
d'instruction, pour la peinture un peintre de mérite, pour la musique des
artistes de talent, cela coûte cher, très-cher, et en employant utilement
ces économies, soit à former un capital, soit à constituer une assurance
sur la vie, payable entre les mains de ma fille le jour de son mariage, je
serais arrivé à lui constituer une dot moitié plus forte que celle que sa
mère avait reçue. Mais je n'ai point cru que c'était là le meilleur.
Plusieurs raisons d'ordre différent me déterminèrent: j'aimais ma fille,
et ce m'eût été un profond chagrin de me séparer d'elle; je n'étais pas
partisan de l'éducation en commun pour les filles; jeune encore, je ne
voulais pas m'exposer à la tentation de me remarier, ce qui eût pu
arriver si je n'avais pas eu ma fille près de moi; enfin je me disais que,
si les hommes ne cherchent trop souvent qu'une dot dans le mariage, il
en est cependant qui veulent une femme, et c'était une femme que je
voulais élever; toi qui connais Madeleine, ses qualités d'esprit et de
coeur, tu sais si j'ai réussi.
«Tu as passé quelques-unes de tes vacances avec nous; tu sais quelle
était notre vie dans notre petite maison du quai des Curandiers et notre
étroite intimité dans le travail comme dans le plaisir; tu as assisté à nos
soirées de lecture, à nos séances de musique, à nos réunions entre amis,
je n'ai donc rien à te dire de tout cela; à le faire je m'attendrirais dans
ces souvenirs si doux, si charmants, et je ne veux pas m'attendrir.
«Cependant, en rappelant ainsi un passé que tu connais dans une
certaine mesure, je dois relever un point que tu ignores peut-être, et qui
a son importance: nos dépenses dépassèrent chaque année mes
prévisions et m'entraînèrent dans des embarras d'argent qui furent les
seuls tourments de ces années si heureuses; mais ton père me vint en
aide, et, grâce à son concours fraternel, je pus en sortir
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