grommelait Sefietje.
--Est-ce qu'il est d��j�� plein? s'��criait Free en faisant l'��tonn��.
Il se baissait, regardait le verre avec la plus grande attention; et alors c'��tait la plaisanterie habituelle:
--Sefietje, ma fille, faut pas te g��ner. ?a m'est ��gal qu'il n'y ait rien au fond du verre, mais soigne le dessus, hein ... Remplis-le bien en haut, ?a me suffit.
Les ouvriers se tordaient; et, malgr�� sa mauvaise volont�� ��vidente, Sefietje ��tait bien forc��e de remplir le verre jusqu'au bord avant que Free consent?t �� y poser les l��vres.
--C'est bon, Free? ricanaient les hommes.
--Comme du sucre! r��pondait Free en rendant le verre vide �� la servante avec un claquement des l��vres.
Avec Free voisinait Fikandouss-Fikandouss. Quand et pourquoi on lui avait donn�� ce sobriquet, nul ne savait. De son vrai nom il s'appelait Feelken, mais tout le monde disait Fikandouss-Fikandouss; et lui-m��me aimait �� r��p��ter le mot et �� l'appliquer, non seulement �� sa propre personne, mais �� un tas de choses qui n'avaient rien �� voir avec lui. Si, par exemple, il voyait Poeteken dans un coin en conversation avec ?La Blanche?, il criait ?Fikandouss-Fikandouss?. A l'entr��e de Sefietje avec sa bouteille, matin et soir, c'��tait ?Fikandouss-Fikandouss?. Tout ��tait ?Fikandouss?, et Fikandouss lui-m��me s'amusait ��norm��ment de ce mot qui ne voulait rien dire et qui disait tout, parce qu'il ��tait applicable �� tout et �� chacun. En pr��sence d'un ��tranger, qui par hasard lui en demandait le sens, sa joie ��tait au comble; il ��tait secou�� d'une v��ritable crise de rire. Aux yeux des autres il passait pour l��g��rement maboul. Il lui arrivait de chanter �� tue-t��te, pendant des heures, en plein vacarme des pilons. A d'autres moments, il se renfermait dans un mutisme maussade, un peu comme Leo. Il semblait alors porter le poids de graves soucis; et parfois il pleurait, sans qu'il f?t rien arriv�� et sans que personne compr?t pourquoi. Si on lui en demandait la raison, si on insistait, il pr��tendait souffrir de violents maux de t��te. Certaines fois, comme Free, il avalait sa goutte avec d��lice en disant que ?a passait comme du sucre; d'autres jours il la refusait obstin��ment, et la passait �� Free, qui le b��nissait pour ce bienfait et lui promettait des jouissances divines dans un monde meilleur. Personne ne comprenait tr��s bien le fond du caract��re de Fikandouss. Il ��tait ��trange et d��concertant. Par exemple, dans son attitude vis-��-vis des femmes, il vous d��routait absolument. Ou bien il ne les regardait m��me pas, ou il se pr��cipitait sur elles, comme pour les violenter. C'��tait pure bouffonnerie, d'ailleurs. Il recevait une gifle et se sauvait, avec un rire, disant que c'��tait ?Fikandouss-Fikandouss?.
Et, enfin, dernier de la longue rang��e, se tenait Ollewaert, le petit bossu. Court sur pattes, il portait toujours un pantalon trop long et trop large, qui lui retombait sur les pieds. Sa bosse s'avan?ait presque en pointe, et son visage pr��sentait comme une autre bosse en r��duction: l'��norme chique de tabac ��ternellement press��e contre l'une ou l'autre de ses joues. Les bossus sont m��chants, dit-on couramment; mais il n'��tait pas m��chant du tout; bien au contraire, la bont�� m��me. Quoi qu'on lui f?t, il ne se fachait jamais. C'��tait une manie habituelle chez ses camarades, en passant de lui tapoter sa bosse; une autre taquinerie, de presser du doigt la joue �� la chique, pour que le jus de tabac lui coulat sur le menton. Il ne s'en fachait pas. Jamais il ne se fachait. Il vous regardait en souriant, comme pour dire: ?Allez-y, si ?a vous amuse; moi, ?a m'est ��gal.? Il n'avait qu'un vice: il buvait trop. ?Il se noierait dans le geni��vre; il est encore pis que Free!? disaient les autres. Et, en effet, Ollewaert ��tait fou d'alcool et pr��t �� toutes les bassesses pour en avoir. Non seulement il troquait r��guli��rement sa tartine de quatre heures contre la goutte de six heures d'un des autres ouvriers (il appelait ?a ?avaler une tartine de goutte?), mais il acceptait parfois des paris crapuleux pour gagner un petit verre de rabiot. Par exemple, M. Triphon avait un petit chien noir plein de puces, qui suivait son ma?tre �� la fabrique et s'attardait parfois dans la ?fosse aux huiliers?, o�� il r��coltait quelques bribes. Les ouvriers, en jouant avec le chien, lui grattaient le poil du devant et du dos. Ils attrapaient quelques puces et disaient �� Ollewaert:
--Ollewaert, je te donne ma goutte si je peux y mettre trois puces de Kaboul.
--Donne! r��pondait Ollewaert sans h��siter.
Les trois animaux plong��s dans le verre, Ollewaert le vidait d'un trait, sans sourciller. L'��quipe partait d'un rire formidable en se tapant les cuisses.
Ces exc��s d'alcool lui ��taient d'ailleurs fatals. P��riodiquement, Ollewaert ��tait pris de crises d'��pilepsie. D'un coup brusque parfois, sans que rien trah?t l'approche de la crise, il s'effondrait �� son ��tabli en des convulsions terribles. Ses
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