et
d'Italie_. Quand ils voudront être écoutés comme librettistes, ou plutôt
ne pas être écoutés, ils feront Guillaume Tell, _le Prophète_, _la
Marchande d'oranges_.
On a dit qu'on ne pouvait faire de bonne musique que sur de mauvais
vers.
C'est exagéré peut-être. Certains musiciens font d'excellente musique
sur de beaux vers. Preuves: le Lac, de Lamartine, musique de
Niedermayer; le Navire, de Soulié, musique de Monpou.
Mais, en général, la puissance humaine ne va pas jusqu'à écouter et
comprendre à la fois de belle musique et de beaux vers.
Il faut absolument abandonner l'un pour l'autre.
Les mélomanes suivront les notes, les poètes suivront les paroles; mais
les paroles dévoreront les notes ou les notes mangeront les paroles.
Supposez que l'on sorte d'un opéra de Scribe, on fredonnera la musique.
Supposez que l'on sorte d'un opéra de Lamartine, on redira les vers.
Ce qui signifie que, sans être un grand poète, et justement parce qu'il
n'est pas un grand poète, Scribe sera, pour Meyerbeer, Auber et Halévy,
un librettiste préférable à Hugo ou à Lamartine.
Et la preuve, c'est qu'ils n'ont pas fait un seul opéra avec Hugo ou
Lamartine, et qu'ils ont fait à peu près tous leurs opéras avec Scribe.
DÉSIR ET POSSESSION
La mode des charades est passée. Oh! le beau temps pour les poètes
sphinx que celui où le Mercure apportait, tous les mois, tous les quinze
jours, et enfin toutes les semaines, une charade, une énigme ou un
logogriphe à ses lecteurs!
Eh bien, moi, je vais faire revenir cette mode.
Dites-moi, donc, cher lecteur ou belle lectrice,--c'est pour l'esprit
perspicace des lectrices surtout que sont faites les charades, --dites-moi
de quelle langue est tiré l'apologue suivant.
Est-ce du sanscrit, de l'égyptien, du chinois, du phénicien, du grec, de
l'étrusque, du roumain, du gaulois, du goth, de l'arabe, de l'italien, de
l'anglais, de l'allemand, de l'espagnol, du français ou du basque?
Remonte-t-il à l'antiquité, et est-il signé Anacréon?--Est-il gothique, et
est-il signé Charles d'Orléans?--Est-il moderne, et est-il signé Goethe,
Thomas Moore on Lamartine?--Ou plutôt, ne serait-il pas de Saadi, le
poète des perles, des roses et des rossignols?--Ou bien...?
Mais ce n'est pas mon affaire de deviner; c'est la vôtre.
Devinez donc, chez lecteur.
Voici l'apologue en question:
Un papillon avait réuni sur ses ailes d'opale la plus suave harmonie de
couleurs: le blanc, le rose et le bleu.
Comme un rayon de soleil, il voltigeait de fleur en fleur, et, pareil
lui-même à une fleur volante, il s'élevait, s'abaissait, se jouait au-dessus
de la verte prairie.
Un enfant qui essayait ses premiers pas sur le gazon diapré, le vit, et se
sentit pris tout à coup du désir d'attraper l'insecte aux vives couleurs.
Mais le papillon était habitué à ces sortes de désirs-là. Il avait vu des
générations entières s'épuiser à le poursuivre. Il voltigea devant l'enfant,
se posant à deux pas de lui; et, quand l'enfant, ralentissant sa course,
retenant son haleine, étendait la main pour le prendre, le papillon
s'enlevait et recommençait son vol inégal et éblouissant.
L'enfant ne se lassait pas; l'enfant suivait toujours.
Après chaque tentative avortée, au lieu de s'éteindre, le désir de la
possession augmentait dans son coeur, et, d'un pas de plus en plus
rapide, l'oeil de plus en plus ardent, il courait après le beau papillon!
Le pauvre enfant avait couru sans regarder derrière lui; de sorte que,
ayant couru longtemps, il était déjà bien loin de sa mère.
De la vallée fraîche et fleurie, le papillon passa dans une plaine aride et
semée de ronces.
L'enfant le suivit dans cette plaine.
Et, quoique la distance fût déjà longue et la course rapide, l'enfant, ne
sentant point sa fatigue, suivait toujours le papillon, qui se posait de dix
pas en dix pas, tantôt sur un buisson, tantôt sur un arbuste, tantôt sur
une simple fleur sauvage et sans nom, et qui toujours s'envolait au
moment où le jeune homme croyait le tenir.
Car, en le poursuivant, l'enfant était devenu jeune homme.
Et, avec cet insurmontable désir de la jeunesse, et avec cette
indéfinissable besoin de la possession, il poursuivait toujours le brillant
mirage.
Et, de temps en temps, le papillon s'arrêtait comme pour se moquer du
jeune homme, plongeait voluptueusement sa trompe dans le calice des
fleurs, et battait amoureusement des ailes.
Mais, au moment où le jeune homme s'approchait, haletant d'espérance,
le papillon se laissait aller à la brise, et la brise l'emportait, léger
comme un parfum.
Et ainsi se passaient, dans cette poursuite insensée, les minutes et les
minutes, les heures et les heures, les jours et les jours, les années et les
années, et l'insecte et l'homme étaient arrivés au sommet d'une
montagne qui n'était autre que le point culminant de la vie.
En poursuivant le papillon, l'adolescent s'était fait homme.
Là, l'homme s'arrêta
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