Bric-a-brac | Page 7

Alexandre Dumas, père
dit
Horace, la peinture et la poésie.
Nous dirons pourquoi la peinture et la poésie ne sont pas soeurs.
C'est que la peinture est égoïste.
La poésie décrit un tableau: elle n'aura jamais l'idée d'y rien changer,
d'en altérer les lignes, d'en transformer les personnages.
La peinture traduit la poésie: elle ne s'inquiète ni des traits arrêtés, ni
des costumes traditionnels, ni des contours tracés par la plume.
Plus le peintre sera grand et individuel, plus la traduction s'éloignera de
l'original.
Tant que les peintres ont été idéalistes comme Giotto, Orcagna,
Benezzo Gozzoli, Beato Angelico, Mazaccio, Pérugin, Léonard de
Vinci et Raphaël dans sa première manière, la poésie biblique et
évangélique a été aussi bien rendue que possible.
Mais, quand Raphaël eut fait _les Sibylles_; Michel-Ange, _le
Jugement dernier_; quand la peinture païenne, sous le pinceau de
Carrache, se fut substituée à la peinture chrétienne; quand la Vierge fut
une Niobé pleurant ses fils et non plus Marie s'évanouissant au pied de
la croix; Jésus, un Minos qui juge les vivants et les morts au lieu d'un
apôtre qui pleure et pardonna; le Père Éternel un Jupiter Olympien
clouant implacablement Prométhée sur son rocher au lieu d'un maître
compatissant se contentant de chasser Adam et Eve du paradis terrestre,
la poésie et la peinture rompirent l'une avec l'autre.
À l'heure qu'il est, il est impossible qu'un poète et un peintre jugent de
la même façon.
Le peintre peut voir juste à l'endroit du poète, et le poète le reconnaître;
mais le peintre n'admettra jamais que le poète voie juste à l'endroit du
peintre.
Ainsi, prenons, par exemple, _la Pêche miraculeuse_ de Rubens.
Le poète dira:
--C'est admirablement peint; c'est un, chef-d'oeuvre d'exécution. Le
côté matériel de la couleur et de la brosse est irréprochable du moment
que ce sont des pêcheurs d'Ostende ou de Blankenberghe qui tirent
leurs filets; mais, si c'est le Christ avec ses apôtres, non!
--Pourquoi non?

--Dame, parce que j'ai dans l'esprit la poésie traditionnelle, du Christ,
de l'homme au corps mince, aux longs cheveux blonds, à la barbe
rousse, aux yeux bleus et doux, à la bouche consolatrice, aux gestes
bienveillants; parce que mon Christ, à moi, c'est celui qui prêche sur la
montagne; qui plaint Satan de ne pouvoir aimer; qui ressuscite la fille
de Jaïr; qui pardonne à la femme adultère, et qui, de ses deux bras
cloués sur la croix, bénit le monde, et que je ne vois rien de tout cela
dans le Christ de _la Pêche miraculeuse_, pas plus que je ne vois un
Arabe des bords du lac de Génézareth, dans ce gros et puissant gaillard
à vareuse rouge qui tire la barque à lui.
Le peintre vous répondra:
--Vous n'avez pas le sens commun, mon cher ami; Rubens a vu le
Christ comme l'homme au manteau rouge, et l'Arabe comme l'homme à
la vareuse.
Que voulez-vous répondre à cela? Rien. Il faut admirer le côté matériel
de la peinture, convenir que Rubens et Rembrandt sont les deux plus
habiles peintres, qui aient jamais existé, mais se dire à soi-même; tout
bas:
--Si j'avais à prier devant un Christ ou devant une Vierge Marie, ce ne
serait point devant un Christ de Rubens ou une Vierge Marie de
Rembrandt que je prierais.
Voilà pourquoi le peintre peut apprécier le poète au point de vue, de la
poésie; voilà pourquoi le poète n'appréciera jamais le peintre au point
de vue de la peinture.
Maintenant, pourquoi les poètes sont-ils si froids à l'endroit de la
musique, qu'ils se contentent de ne pas la craindre, quand ils ne la
haïssent pas?
Ce sera encore plus simple que ce que je viens de vous expliquer.
La poésie n'aime pas la musique, parce qu'elle est elle-même une
musique. Quand la poésie a affaire à la musique, elle n'a donc point
affaire à une soeur, mais à une rivale.
En effet, que la musique fasse les honneurs d'une partition à la poésie,
sous prétexte de donner l'hospitalité à la poésie, elle la conduira dans le
château de Procuste; elle la couchera sur son lit, c'est-à-dire sur un
véritable échafaud.
Les vers qui seront trop courts, elle les tirera, au risque de les disloquer,
jusqu'à ce qu'ils aient la longueur voulue.

Les vers qui seront trop longs, elle les rognera, au risque de les
estropier, jusqu'à ce qu'ils soient raccourcis à sa convenance. Elle aura
besoin d'une syllabe en plus, elle l'ajoutera.
Le poète a écrit:
L'or est une chimère, Sachons nous en servir.
Le musicien mettra:
Oh! l'or est une chimère. Eh! sachons nous en servir.
Elle aura besoin d'une, de deux, de trois, de quatre syllabes en moins, le
musicien les retranchera. Et il aura raison.
Quand les poètes voudront être lus comme poètes, ils feront les Odes et
Ballades, les _Méditations poétiques_, les _Contes d'Espagne
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