Bric-a-brac | Page 9

Alexandre Dumas, père
un instant, ne sachant pas s'il ne serait pas mieux
pour lui de revenir en arrière, tant ce versant de montagne qui lui restait
à descendre lui paraissait aride.
Puis, au bas de la montagne, au contraire de l'autre côté, où, dans de
charmants parterres, dans de riches enclos, dans des parcs verdoyants,
poussaient des fleurs parfumées, des plantes rares, des arbres chargés
de fruits; au bas de la montagne, disons-nous, s'étendait un grand
espace carré fermé de murs, dans lequel on entrait par une porte
incessamment ouverte, et où il ne poussait que des pierres, les unes
couchées, les autres debout.
Mais le papillon vint voltiger, plus brillant que jamais, aux yeux de
l'homme, et prit sa direction vers l'enclos, suivant la pente de la
montagne.
Et, chose étrange! quoiqu'une si longue course eût dû fatiguer le
vieillard, car, à ses cheveux blanchissants, on pouvait reconnaître pour
tel l'insensé coureur, sa marche, à mesure qu'il avançait, devenait plus
rapide; ce qui ne pouvait s'expliquer que par la déclivité de la
montagne.
Et le papillon se tenait à égale distance; seulement, comme les fleurs

avaient disparu, l'insecte se posait sur des chardons piquants, ou sur des
branches d'arbre desséchées.
Le vieillard, haletant, le poursuivait toujours.
Enfin, le papillon passa par-dessus les murs du triste enclos, et le
vieillard le suivit, entrant par la porte.
Mais à peine eût-il fait quelques pas, que, regardant le papillon, qui
semblait se fondre dans l'atmosphère grisâtre, il heurta une pierre et
tomba.
Trois fois il essaya de se relever, et retomba trois fois.
Et, ne pouvant plus courir après sa chimère, il se contenta de lui tendre
les bras.
Alors, le papillon sembla avoir pitié de lui, et, quoiqu'il eût perdu ses
plus vives couleurs, il vint voltiger au-dessus de sa tête.
Peut-être n'étaient-ce point les ailes de l'insecte qui avaient perdu leurs
vives couleurs; peut-être étaient-ce les yeux du vieillard qui
s'affaiblissaient.
Les cercles décrits par le papillon devinrent de plus en plus étroits, et il
finit par se reposer sur le front pâle du mourant.
Dans un dernier effort, celui-ci leva le bras, et sa main toucha enfin le
bout des ailes de ce papillon, objet de tant de désirs et de tant de
fatigues; mais, ô désillusion! il s'aperçut que c'était, non pas un papillon,
mais un rayon de soleil qu'il avait poursuivi.
Et son bras retomba froid et sans force, et son dernier soupir fit
tressaillir l'atmosphère qui pesait sur ce champ de mort...
Et cependant, poursuis, ô poète, poursuis ton désir effréné de l'idéal;
cherche, à travers des douleurs infinies, à atteindre ce fantôme aux
mille couleurs quî fuit incessamment devant toi, dût ton coeur se briser,
dût ta vie s'éteindre, dût ton dernier soupir s'exhaler au moment où ta
main le touchera.

UNE MÈRE
(CONTE IMITÉ D'ANDERSEN)
Une mère était assise près du berceau de son enfant. Il n'y avait qu'à la
regarder pour lire sur sa physionomie qu'elle était en proie à la plus
vive douleur.
L'enfant était pale, ses yeux étaient fermés, il respirait difficilement, et
chacune de ses aspirations était profonde comme s'il soupirait.

La mère tremblait de le voir mourir, et regardait le pauvre petit être
avec une tristesse déjà muette comme le désespoir.
On frappa trois coups à la porte.
--Entrez, dit la mère.
Et, comme on avait ouvert et refermé la porte, et que cependant elle
n'entendait point le bruit des pas, elle se retourna.
Alors elle vit s'approcher un pauvre vieillard, le corps à moitié
enveloppé, dans une couverture de cheval.
C'était un triste vêtement pour qui n'en avait pas d'autre. L'hiver était
rigoureux; derrière les vitres blanchies et ramagées par le givre, il
faisait dix degrés de froid et le vent coupait le visage.
Le vieillard était pieds nus; c'était sans doute pour cela que ses pas ne
faisaient pas de bruit sur le parquet.
Comme le vieillard tremblait de froid, et que, depuis qu'il était là,
l'enfant paraissait dormir plus profondément, la mère se leva pour
ranimer le feu du poêle.
Le vieillard s'assit à sa place et se mit à bercer l'enfant, en chantant une
chanson mortellement triste dans une langue inconnue.
--N'est-ce pas que je le conserverai? dit la mère en s'adressant à son
hôte sombre.
Celui-ci fit de la tête un signe qui ne voulait dire ni oui ni non, et de la
bouche un sourire étrange.
La mère baissa les yeux, de grosses larmes coulèsent sur ses joues, sa
tête tomba sur sa poitrine. Il y avait trois jours et trois nuits qu'elle
n'avait ni dormi ni mangé!
Son front devint si lourd, qu'un instant elle s'assoupit malgré elle; mais
bientôt elle se réveilla en sursaut et toute glacée.
Le vieillard n'était plus là.
--Où donc est le vieillard? cria-t-elle.
Et elle se leva et courut
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