ou croyant les faire élever plus sûrement par
la mère, mettent les oisillons dans une cage, à travers les barreaux de
laquelle les parents viennent les nourrir pendant un certain temps; mais,
lorsque le moment est venu où les petits devraient les suivre et en sont
empêchés par leur captivité, les parents les abandonnent et les laissent
mourir de faim.
Aussi n'ôterez-vous pas de l'idée des petits paysans que, lorsqu'un
amateur d'ornithologie emploie ce moyen économique de se procurer
des oisillons, le père et la mère, plutôt que de laisser leurs petits en
captivité, les empoisonnent.
L'infanticide existerait donc, dans ce cas, chez ces innocents chanteurs
que l'on appelle le chardonneret, le pinson, la fauvette, comme chez ce
féroce amphibie qu'on appelle l'hippopotame?
Non. Mais le fait irrécusable est celui-ci: tout animal sauvage a horreur
de la captivité et de l'homme, qui la lui impose. Tant qu'il est petit, tant
qu'il a besoin des soins de l'homme, il semble oublier qu'il était fait
pour la liberté. Mais, en grandissant, il redevient sauvage, et l'oiseau
qui, lorsqu'il ne mangeait pas seul, venait chercher sa nourriture dans
votre main, après un an de cage, c'est-à-dire lorsqu'il devrait être
habitué à la captivité, se débat, s'effarouche et essaye de fuir lorsque
cette même main, dont, petit, il se faisait un perchoir, va le chercher et
essaye de le prendre dans sa cage.
Eh bien, il est arrivé pour l'hippopotame, animal essentiellement
sauvage et farouche, ce qui arrive aux oiseaux dont on touche la couvée,
ce qui arrive même aux animaux domestiques dont on a décimé les
petits: acceptant la captivité et l'attouchement de l'homme pour
elle-même, l'hippopotame ne les a pas acceptés pour sa progéniture;
elle a tué son petit, non point parce qu'elle était mauvaise mère, mais
parce qu'elle était trop bonne mère.
Maintenant, quoique peu de temps se soit écoulé depuis ce crime,
l'hippopotame femelle se trouve déjà, comme disent nos voisins
d'outre-Manche, dans un état intéressant. Que MM. les savants
attendent patiemment le quatorzième mois de gestation, qu'ils séparent
l'hippopotame mâle de l'hippopotame femelle, qu'ils laissent cette
dernière seule avec son petit, sans la regarder, sans la toucher, en lui
jetant ses carottes et ses navets par une ouverture quelconque; qu'ils
prennent un autre moment que celui de la naissance de leur jeune
pachyderme pour faire à coups de pistolet la chasse aux rats, et ils
verront que, dans la solitude, loin du regard, de l'attouchement et de la
curiosité de l'homme, la mauvaise mère redeviendra bonne mère, et
qu'ils auront, comme on dit en termes de science, la satisfaction
d'obtenir un produit.
Terminons ce récit par une anecdote sur MM. les savants, qui
rappellera, d'une singulière façon, la spirituelle fable de _la Poule anx
oeufs d'or_.
Un de mes amis, le célèbre voyageur Arnaud, avait, au péril de sa vie,
ramené de l'ancienne Saba un âne hermaphrodite, tranchant, comme
Alexandre, ce noeud gordien de la science, qui avait déclaré que
l'hermaphrodisme était un des rêves de l'antiquité.
L'âne hermaphrodite répondait victorieusement à tous les doutes: il
pouvait féconder, il pouvait être fécondé.
Les savants n'y ont pas tenu; au lieu de conserver précieusement un
pareil sujet, bien autrement rare que l'hippopotame, puisqu'il était,
sinon unique, du moins le seul connu, ils l'ont tué, ouvert et disséqué.
Avouez que la femelle de l'hippopotame, qui connaît peut-être
l'anecdote de l'âne hermaphrodite, a bien raison de ne pas permettre aux
savants de toucher à son petit.
POÈTES, PEINTRES ET MUSICIENS
Avez-vous remarqué ceci:
Tous les peintres aiment la musique, tandis que tous les poètes, ou la
détestent, ou la comprennent mal, ou disent comme Charles X: « Je ne
la crains pas! »
Essayons d'expliquer ce fait.
La peinture et la musique sont deux arts essentiellement sensuels.
Les musiciens et les peintres idéalistes sont des exceptions assez peu
appréciées des autres peintres et des autres musiciens.
Voyez Scheffer, voyez Schubert.
Les musiciens existent dans un pays en raison inverse des poètes.
Ainsi, la Belgique, qui n'a pas un poète, pas un romancier, pas un
historien, a des compositeurs respectables et des exécutants supérieurs:
madame Pleyel. Vieuxtemps, Bériot, Batta, que sais-je, moi! dix autres
encore. Elle a d'excellents peintres: Gallait, Wilhems, les deux Stevens,
Leys.
La France, qui a des poètes à foison: Hugo, Lamartine, de Vigny,
Barbier, Brizeux, Émile Deschamps, madame Desbordes-Valmore, n'a,
en compositeurs, qu'Auber et Halévy.
Je ne nomme pas plus Hérold et Adam que je ne nomme Chateaubriand
et de Musset: tous deux sont morts.
Maintenant, pourquoi les, peintres aiment-ils la musique?
C'est que, comme nous l'avons dit, la musique et la peinture sont deux
arts sensuels.
La musique entre par les oreilles et chatouille les sens.
La peinture entre par les yeux et réjouit le coeur.
C'est la peinture et la musique qui sont soeurs, et non pas, comme le
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